Transformation digitale : convertir l’ambition en action

29 février 2016 - Auteur : Jilani Djellalil

Cet article est extrait de la revue Transversus, La performance par les processus, Numéro 10, Automne/Hiver 2015/16. Il reprend les idées développées dans l’ouvrage La transformation digitale, paru chez Dunod en 2015, rédigé par l’auteur et Pascal Delorme.

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La révolution digitale, qui met en ébullition toutes les économies, constitue une sorte de troisième révolution industrielle pour nos sociétés. Peu de modèles ont été proposés pour faciliter ou éclairer la compréhension et le pilotage de la transformation digitale des entreprises. C’est le rôle de la roadmap digitale présentée ici. A des degrés divers, la transformation digitale est en cours dans les entreprises. Elle a souvent commencé par le parcours client et l’amélioration de l’existant en vue d’atteindre une omnicanalité. Les craintes d’une auto-cannibalisation et la remise en cause des business models en constituent les principaux freins. Cette transformation devient nécessaire afin de répondre aux nouvelles exigences et aux changements de comportements des clients et des collaborateurs. La relation client est devenue une priorité revue et les enjeux RH sont de taille. L’entreprise doit à la fois former son personnel, mais  aussi  s’adapter  aux  innovations  constantes  des  technologies.  Pour  ce  faire, l’implication de la direction, ainsi que le rôle de la DSI et de la DRH sont majeurs.

L’indispensable roadmap digitale

A l’heure de la désintermédiation généralisée et de l’uberisation de la société, la révolution digitale est souvent perçue de façon anxiogène et approchée, le plus souvent, en mode réactif par les entreprises dites traditionnelles.

Même chez Airbus, qui prépare son incroyable usine du futur, dont l’objectif est la réduction globale attendue du temps de cycle de production de 50 % à l’horizon 2025, on se dit « réveillé » par le trublion SpaceX d’Elon Musk, cofondateur de Paypal et multi-entrepreneur digital.

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Il faut pouvoir explorer toutes les pistes sans aucun tabou.

De nombreuses opportunités s’offrent aux entreprises qui sauront vraiment se réinventer avec le digital et les moyens nouveaux qu’il offre pour :

  • développer l’agilité stratégique ;
  • enrichir les offres et la relation client ;
  • repenser les activités et les métiers ;
  • mobiliser et fluidifier les organisations.

L’urgence, la nouveauté et la spécificité de la transformation digitale peuvent poser le problème de la multiplication des projets (Big Data, objets connectés, prédictif, impression 3D, réalité augmentée…). Sans cadre de cohérence, sans ligne directrice et sans schéma de gouvernance, l’entreprise a du mal à se transformer pour construire un avantage compétitif avéré et bénéficier pleinement de l’effet escompté sur la mobilisation des équipes.

En matière de transformation stratégique, les approches tactiques ou ponctuelles sans coordination globale peuvent se révéler coûteuses. Il est facile d’engloutir des budgets considérables dans des projets de changement mal construits ou mal conduits. Ces approches peuvent également avoir des effets collatéraux néfastes au sein de l’organisation.

Nous souhaitons donc permettre aux cadres et dirigeants d’appréhender les tenants et les aboutissants, les concepts, les nouveaux paradigmes et leur proposer une trame simple pour conduire leur transformation digitale de la façon la plus efficace possible.

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L’ambition du modèle décrit ici est d’offrir une grille de lecture des ruptures et des forces en action et un cadre pour formuler les réponses, au-delà des projets et initiatives déjà lancés, à l’aide d’une roadmap claire pour tous et qui englobe les dimensions qui nous semblent essentielles. Ce modèle se compose de 5 dimensions regroupant chacune plusieurs composantes :

  • le client et tout ce qui tourne autour des attentes et des usages ;
  • l’activité et les actifs stratégiques ;
  • le corps social et les collaborateurs ;
  • la culture et les règles de fonctionnement à l’intérieur de l’entreprise ou l’organisation ;
  • le leadership, comme une composante à part entière.

La transformation digitale réclame une vision, une gouvernance, du leadership qui doivent se conjuguer avec une bonne capacité d’exécution pour faire évoluer les organisations, les systèmes et les hommes. La roadmap digitale doit, quant à elle, être déclinée assez finement et sur un horizon de temps conforme à l’indispensable rapidité des changements, à la mobilisation des équipes et la mise sous tension de l’entreprise.

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Une situation contrastée dans les entreprises

Il faut bien sûr distinguer les initiatives des effets d’annonce qui sont actuellement nombreux. Ensuite, il faut distinguer les projets digitaux, qui ne sont d’ailleurs pas toujours nouveaux (c’est heureux), des véritables transformations digitales. Ces dernières quand elles sont conduites de façon volontariste et ambitieuse, doivent offrir des leviers de transformation tant en interne que dans les relations avec son écosystème et des opportunités de croissance. Les entreprises ayant une bonne maturité digitale en retirent largement les bénéfices. D’après le MIT, elles sont plus profitables (+26 %) et mieux valorisées (+12 % en moyenne) que les autres.

La situation est évidemment très contrastée ; il y a des différences notables, selon les secteurs d’activité, selon les entreprises, dans la maturité à concevoir une stratégie digitale. Dans la plupart des cas, la tactique en mode silo ou fonctionnel a largement pris le pas sur le stratégique en mode coordination.

S’il existe une majorité de dirigeants qui estiment que la réinvention avec le digital est indispensable pour que la suite de l’aventure ne se transforme pas en chemin de décroissance plus ou moins lente, d’une façon générale la phase d’accélération se fait attendre. En effet, peu d’entreprises tentent des approches réellement disruptives sur les business models offrant des avantages compétitifs.

Derrière ce retard, il y a des craintes liées à l’auto-cannibalisation de l’activité et des business models en place, à la capacité d’imposer l’innovation sur le modèle et la capacité à réussir la transformation en interne. Les inévitables répercussions qu’elles produiraient sur les modèles d’organisation se font donc attendre, fragilisant l’entreprise pour la suite car les nouveaux concurrents n‘attendent pas et avancent avec un appétit vorace. Dans un nombre très limité de cas, nous assistons à de réelles ruptures de business models pour une reconfiguration de la chaîne de valeur.

La plupart des sociétés ont commencé par la digitalisation du parcours client et le développement de nouveaux services. Les projets relatifs à la cross-canalité, à la mobilité, au marketing social ont été nombreux et ont marqué le leadership des directions marketing et commerciale dans la transformation digitale.

Cette approche tendancielle d’amélioration par la digitalisation de l’existant, que ce soit dans la relation avec le client, le parcours d’achat, l’hybridation des approches et la recherche d’une forme plus ou moins aboutie d’omnicanalité, a également prévalu dans les activités de production pour réduire les coûts et les délais et améliorer la qualité (dématérialisation, multiplication des capteurs pour le prédictif…).

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Ce changement incrémental a permis la création de valeur à la périphérie du cœur de métier et surtout la fidélisation avec, parfois, une incursion dans la sphère intime du client (stress, émotionnel, réassurance). Chaque information et service, pour prévenir d’un retard à l’embarquement d’un avion ou fêter une naissance par exemple, renforce le lien.

La digitalisation dans un but d’amélioration de la performance opérationnelle (time to market, réduction des coûts, productivité) a produit de bons résultats, particulièrement lorsqu’elle s’est structurée autour de :

  • la dématérialisation ;
  • la socialisation pour fluidifier les échanges dans une logique collaborative ;
  • l’ouverture sur l’extérieur dans une logique d’entreprise étendue intégrant fournisseurs et partenaires stratégiques ;
  • la digitalisation des tâches et/ou activités élémentaires ;
  • le prédictif, notamment dans les activités industrielles, grâce aux capteurs et divers objets connectés.

Chez Coved (ramassage d’ordures ménagères), on a créé le camion poubelle du futur. Connecté, il permet à l’entreprise une communication en direct avec les communautés pour optimiser les tournées.

De façon minoritaire, les entreprises sont plus offensives. Elles s’appuient, par exemple, sur des partenariats digitaux pour porter leurs offres vers un public plus large avec notamment le développement exponentiel des places de marché ces dernières années. Xerfi Precepta annonce un potentiel de 10 milliards d’euros à l’horizon 2018 pour 2,5 milliards d’euros en 2014.

Il faut mentionner le cas notable d’Accor qui d’une position défensive est passé à l’offensive stratégique en lançant sa place de marché Accor Hotels. Ce projet a une singularité forte. Voilà une entreprise qui subit l’intermédiation croissante des sites de réservation en ligne et une disruption non moins importante des plateformes de location ou d’échange entre particuliers (Airbnb, HomeLink, HomeExchange…). Elle choisit de répondre avec une stratégie astucieuse pour fédérer la profession hôtelière et use de tous les codes de l’économie digitale. Elle répond à l’alliance des sites de réservation avec les internautes par une alliance de professionnels et utilise la notation de TripAdvisor comme critère d’entrée dans ce nouveau club. Elle doit permettre aux adhérents de cette place de marché de récupérer les données clients qu’elle mettra à sa disposition. Au passage, la commission devrait être divisée par deux par rapport au taux pratiqué par Booking, Expedia et consorts.

Clients et collaborateurs incitent au changement

L’évolution incessante des solutions digitales et leur adoption massive modifient les usages et les attentes sur deux fronts qui réclament du changement :

  • Des clients extrêmement exigeants qui sont confrontés à une profusion d’offres, à un niveau de qualité croissant des relations et prestations digitales et sont en attente d’une relation omnicanale et hautement personnalisée.
  • Des collaborateurs plus digitalisés dans leur sphère personnelle et professionnelle qui perçoivent les opportunités, s’impatientent, challengent leur management, même s’ils sont parfois épuisés par la succession de projets de changement, de réorganisation dont ils n’ont pas toujours perçu l’intérêt. Cette fois-ci, ils veulent être impliqués à plein, tout en améliorant leur employabilité.

Pourtant, les entreprises sont globalement en retard par rapport à leurs clients et leurs collaborateurs. Il ne sera pas aisé pour les grands groupes de tenir le rythme imposé par leurs clients. Zappeurs et agiles, ils sont habitués à une expérience client aboutie sur les plateformes gratuites ou en freemium, expérience qui devient la norme.

Les collaborateurs ne sont pas en reste. Ils peaufinent leur profil LinkedIn et peuvent même informer anonymement sur Glassdoor un candidat au recrutement sur l’ambiance qui règne dans la société ! D’une certaine façon, il s’agit de l’intermédiation de la relation entre une entreprise et un candidat en processus de recrutement.
Il est capital d’avoir à l’esprit que les clients et les collaborateurs sont l’alpha et l’oméga de la transformation digitale. L’expérience client suit l’expérience collaborateur ; l’un et l’autre se sentent dépositaires de la marque et elle ne doit ni les décevoir, ni les trahir.

avec glassdoor

Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, connu pour son obsession du client, explique ainsi l’acquisition de Zappos, société au modèle managérial unique dans son genre (la fameuse et très participative holacratie) : « Zappos a une obsession pour les clients que j’admire. Zappos a une culture totalement unique que je n’ai jamais vue ailleurs, et cette culture associée à cette marque est un capital à elle seule : la marque Zappos, les clients de Zappos, les employés de Zappos. Je veux voir ces choses continuer. »

Les conséquences ou implications sur le management du projet de transformation et, par extension, celui de l’entreprise digitalisée sont lourdes. Le populaire concept de « symétrie des attentions » pose l’équation sans la moindre ambiguïté : « La qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est égale à la qualité de la relation de cette entreprise avec ses propres collaborateurs. »

Une étude récente du cabinet Roland Berger indique un lien direct entre le niveau de maturité digitale de l’entreprise et son niveau de cohésion sociale qui se voit renforcé par la perception positive de la transformation, la facilitation des relations de travail et le sentiment d’implication renforcé des collaborateurs.

La transformation digitale suppose, toutefois, un effort massif d’acculturation des collaborateurs de l’organisation. Plusieurs générations (X, Y, Z) y cohabitent et elles font vivre une culture spécifique. Cet effort sera payant car il faut absolument éviter « la fracture digitale », même si l’expérience montre que l’âge n’est pas forcément une circonstance aggravante.

S’il n’y a pas que des digital natives dans les entreprises, ils sont en phase avec leur époque et seront les leaders de demain. C‘est pourquoi, il convient de leur aménager des espaces. Chez Engie, le PDG Gérard Mestrallet est initié aux outils digitaux par une marraine âgée de vingt-cinq ans.

La formation est évidemment un levier majeur de transformation opérationnelle mais doit s’accompagner d’autres initiatives et actions :

  • MOOC (Massive Online open course) ;
  • COOC (Corporate Online open course) ;
  • reverse monitoring (les jeunes accompagnent les anciens) ;
    ambassadeurs digitaux ;
  • digital lab (mise à disposition de devices) ;
  • équipement élargi des collaborateurs en smartphones et tablettes ;
  • BYOD, Bring your own device (possibilité donnée au collaborateur d’utiliser son matériel personnel à des fins professionnelles).

 

Acteur clé de ce grand mouvement, la direction des Ressources humaines gère également sa propre digitalisation. Chez Carrefour, la fonction a digitalisé ses pratiques de recrutement avec le CV vidéo pour les manutentionnaires, agents de caisse (sur 11 000 recrutements/an, seulement 500 cadres). D’autres structures, comme Accenture, ont opté pour des Serious Games afin de sécuriser leurs recrutements. Ces technologies se sont d’ailleurs largement démocratisées et sont également utilisées pour ce qu’on appelle le onboarding (l’intégration). Elles visent un double objectif : identifier ou développer, le plus souvent de façon ludique, les capacités et/ou compétences d’un collaborateur mis en situation  virtuelle, tout en renforçant la marque employeur de l’entreprise. Chez BNP PARIBAS Leasing Solutions, plusieurs expériences digitales ont été développées sur un socle d’applications mobiles à usage interne (covoiturage, aide à la logistique à la personnalisation du bureau, concours interne…). Toutes les initiatives en la matière sont dignes d‘intérêt.

Le management de la transformation digitale : leadership et enthousiasme

L’impulsion et la mise sous tension sont du ressort du plus haut niveau car il s’agit de mettre toute une entreprise en mouvement. Dans le même temps, la culture du bottom up doit infuser pour que chacun puisse innover dans son domaine ou sur son territoire. De la même façon, l’agilité et la réactivité doivent s’inviter dans l’esprit et le mode de fonctionnement de chaque manager. Sans cela, le rôle du Chief Digital Officer pourrait être réduit à celui de directeur de programme, alors qu’il doit également anticiper l’arrivée d’acteurs disruptifs sur les marchés, préparer et exploiter les opportunités du digital en faisant abstraction des freins internes. Chacun son job !

Dans les entreprises dites traditionnelles, les écarts entre les valeurs prônées et les réalités organisationnelles, culturelles et managériales peuvent parfois être importants et laisser place à un management en mode injonction paradoxale. Chacun a pu le connaître, il est totalement improductif, quand il n’est pas démobilisant. Ces écarts accroissent le malaise des managers pris entre le marteau et l’enclume. Une mutation managériale est à accomplir pour passer du management Go/NoGo à l’itération collaborative porteuse. A la clé, se trouvent time to market et mobilisation des collaborateurs.

Le leadership est donc un ingrédient essentiel de la transformation digitale et c’est, dans le même temps, un gros challenge. C‘est la raison pour laquelle, la direction des Ressources humaines doit occuper un rôle pivot, aux côtés de l’équipe dirigeante, dans la transformation digitale qui porte, au-delà du test and learn et autres pratiques, une évolution culturelle majeure.

Il s’agit de créer de nouveaux espaces de liberté, de créativité et… d’enthousiasme. Sans oublier de les ouvrir vers l’extérieur et de mixer les équipes (métier, informatique, digital, partenaire) en créant les conditions optimales de la cohabitation (méthodes, outils, processus).

A la SNCF, la direction du Digital est très impliquée dans une dynamique transversale et la construction d’un socle digital commun à l’ensemble du groupe. Les initiatives sont nombreuses. La dernière en date est assez spectaculaire puisqu’il s’agit de drones intelligents qui fonctionnent selon des algorithmes d’intelligence artificielle pour la surveillance des voies. L’analyse d’image permettra la prise de décision dans plusieurs domaines (analyse de parois rocheuses, maîtrise de la végétation, diagnostic post tempête…). Les premières applications porteront sur la maintenance des voies et la sûreté ferroviaire ; des économies importantes sont d’ores et déjà estimées. D’autres initiatives visent à amener les clients au train.

Lancée en juillet 2015, une application vise à faciliter les « kilomètres hors rail » : covoiturage, VTC, taxis, vélos en libre-service, parkings. Sans compter les projets de gare du futur qui étudient de près ce qui se fait au Japon.

A l’inverse, certaines entreprises font éclore leurs projets disruptifs en dehors de l’organisation. La transformation digitale implique souvent des coopérations avec des start-ups. C’est utile si cela ne se transforme pas en pis-aller. La coopération doit servir un besoin identifié et clair : gagner du temps, de la créativité, de l’agilité… à condition de respecter le biorythme et la culture de la start-up. Cette coopération répond de façon intéressante mais non centrale à la logique de transformation de l’entreprise. En revanche, c’est un modèle : les géants du digital sont des start-ups qui ont grandi. Il faut s’inspirer de leur culture et de leur posture, notamment vis-à-vis du risque et de la prise de décision pour réfléchir au business model de façon disruptive, envisager les opportunités à exploiter avec un regard neuf et privilégier les schémas d’alliance. La SNCF a passé un accord avec Airbnb. Les 7 millions de visiteurs uniques mensuels de Voyages- sncf.com ont la possibilité de mettre en location leur logement pendant leur absence sur Airbnb et ainsi financer leurs voyages. Le lobbying des syndicats hôteliers a été efficace car ils ont su présenter au politique une vision à laquelle il est toujours sensible.

Il n’en reste pas moins que la dynamique est lancée. La SNCF planche sur plusieurs projets dont la ligne directrice est l’augmentation du « pouvoir d’achat voyages » de ses clients avec la création du « voyage qui rapporte de l’argent » par la monétisation des biens inutilisés durant leur absence. Plusieurs alliances sont donc en cours d’examen chez le transporteur ferroviaire national ; elles pourraient concerner 10 % de la clientèle à l’horizon 2019.

Mentionnons également une grande première qui marque encore une fois l’abolition des frontières entre métiers. Le 23 novembre 2015, Amazon, via sa filiale Blue Origin a réussi le lancement d’une fusée réutilisable qui atterrit dans des conditions parfaites. Elle est destinée au tourisme spatial. Amazon est donc en avance sur les professionnels du tourisme et ceux de l’espace.

Emmanuel Durand (vice-président de Warner Bros France), dans son livre La menace fantôme, démontre bien comment l’innovation d’amélioration étouffe l’innovation de rupture, notamment avec la consommation de ressources et de temps et le maintien de  schémas  anciens. Une formule célèbre ne dit-elle pas : « Ce n’est pas en améliorant la bougie que nous aurions découvert l’ampoule électrique » ?

Réussir l’intégration des technologies avec tous et pour tous
Dans un grand nombre de cas, les systèmes d’information constituent des freins réels à la transformation du fait de la faible évolutivité d’architectures encore peu ouvertes. Pour ceux qui ont adopté assez tôt des architectures ouvertes découplant données et services, orientées métier, les résultats sont plus probants, surtout si les API ont été adoptées.

Nous reprenons ici un extrait d’une note interne très édifiante de Jeff Bezos au sein d’Amazon. Elle est relative aux API :
« Toutes les équipes exposeront dorénavant leurs données et fonctionnalités par l’intermédiaire d’API. Les équipes ont l’obligation de communiquer les unes avec les autres à travers ces API. Aucun autre mode de communication entre équipes ne sera autorisé. Pas de liens directs, pas d’accès direct en lecture à l’entrepôt de données d’une autre équipe, pas de modèle de partage de mémoire, aucune porte dérobée d’aucune sorte. La seule communication autorisée est à travers des appels à ces API via le réseau. Peu importe la technologie utilisée. Toutes les API, sans aucune exception, doivent être conçues dès le départ pour être rendues accessibles de l’extérieur.
Cela signifie que chaque équipe doit planifier et concevoir de façon à pouvoir exposer son API à des développeurs du monde extérieur. Aucune exception ne sera tolérée. Quiconque ne se conformera pas à ces ordres sera renvoyé.
Merci, bonne journée !
JEFF BEZOS
 »

Le décloisonnement des systèmes et l’adoption de méthodes agiles permettent de déployer les améliorations et les innovations dans des délais cohérents vis-à-vis de la vitesse d’évolution des usages. Les projets qui rencontrent le succès sont ceux qui s’appuient sur une réelle collaboration entre le métier, le système d’information, le marketing dans une logique One team réelle. Dans certaines entreprises, on réfléchit à intéresser les collaborateurs de la DSI sur des objectifs business pour passer de la confrontation à la co-construction et à la responsabilité. Dans tous les cas, il faut éviter à tout prix le shadow IT et les POC (Proof of Concept) qui ne débouchent pas et impactent inévitablement le déploiement.

La direction du système d’information a un rôle formidable à jouer dans l’adoption rapide des évolutions technologiques, le basculement vers le cloud et la progression vers l’aventure de la plateforme comme les grands acteurs digitaux. Il s’agit bien de faire de l’entreprise traditionnelle une plateforme qui unisse data et processus rendus transversaux pour profiter au mieux des technologies de nouvelle génération (cloud, Big Data, prédictif, mobilité…). A titre d’exemple, la R & D pourrait connaître, en même temps que le SAV, le nombre effectif de pannes sur un appareil grâce aux modalités de captage.

Une étude réalisée par le MIT tend à démontrer que « les technologies joueraient un rôle mineur dans la réussite d’une transformation digitale face à l’importance de la stratégie ». Nous considérons, pour notre part, que c’est l‘agilité stratégique conjuguée à la capacité d’exécution qui fera la différence. Néanmoins, la technologie est à réinvestir massivement. De gros bouleversements se préparent, notamment avec l’intelligence artificielle, et les usages et les modèles mutent à grande vitesse avec les implications que l’on connaît et celles que l’on ne connaît pas encore.

Parmi les technologies, le cloud exonère l’entreprise de la logique investissement/amortissement qui peut freiner les avancées alors que le rythme des évolutions technologiques est très fréquent. La volumétrie des données à la disposition des entreprises est déjà très importante et va évidemment aller en s’accroissant avec le développement des échanges et des transactions en ligne, alors que les outils des bases de données relationnelles sont souvent dépassés.

Le try and buy permet donc de profiter de la proposition de valeur du cloud : flexibilité, agilité, économies d’échelle. Le  cloud est indissociable de la transformation digitale, ce qui ne veut pas dire qu’il faille se ruer chez Amazon Web Services. De nombreuses DSI ont avancé sur le sujet avec le développement d’un cloud interne, mais les métiers sont également des consommateurs avertis de solutions en mode SAAS. Le cloud et son utilisation doivent être abordés à un niveau global avec, pourquoi pas, le développement d’un cloud par filière au niveau national. Le succès des projets n’est pas garanti, mais il faut les lancer pour rester dans la course et progresser.

Actuellement, une faible part de ces données est réellement exploitée et les outils de Big Data permettent le stockage et l’agrégation de données brutes issues des différents systèmes et canaux pour améliorer la connaissance du client grâce à la modélisation de son comportement. Il y a, en amont de ce type de projet, un travail colossal. Il porte sur l’unification des bases de données, la structuration des données, la recherche des informations pertinentes et des déclencheurs d’une action considérée et des modalités d’interaction avec le client pour une situation donnée. Les acteurs qui ont le plus progressé sont les e- commerçants, les opérateurs téléphoniques et, plus généralement, les directions marketing BtoC dans le cadre de leur transformation digitale. Les opérations s’y mettent rapidement pour faire baisser les coûts.

Encore coûteux il y a peu, le Big Data a vu quelques solutions open source, comme Hadoop, émerger. Cela permet de lancer des démarches et de lancer des initiatives. Ce doit être l’occasion d’une collaboration avec les métiers car trop de projets ont été abordés sous l’angle technologique. Notons que des partenariats très structurants sont mis en place : Sanofi avec Google, Biogen avec Abbvie (Big Data, Big Pharma). L’objectif est de faire converger des spécialistes pour offrir des services intégrés en prenant en compte des règles éthiques strictes.

Le point clé réside dans un changement de paradigme à opérer par le métier qui ne doit plus s’interroger sur les données qui lui sont nécessaires pour l’exercice de son activité, mais sur les données que son activité lui permet de collecter, enrichir et exploiter pour une meilleure ou une nouvelle proposition de valeur. Axa l’a remarquablement compris et a lancé en octobre 2015 une offre qui s’appuie sur des objets connectés (vidéo surveillance, éclairage, détection de fumée) : une inflexion stratégique forte vers une relation positive de proximité avec le client. Chez L’Oréal, l’initiative MyDermaCenter offre à la cliente un diagnostic qui se fait par chat avec une conseillère pharmacienne diplômée. L’objectif est de collecter des données clients.

Sur le plan de la collaboration, la mise en place des réseaux sociaux d’entreprise (RSE), dont l’efficacité peut être réelle dans un schéma d’évolution, a pu se heurter à des freins actionnés par un  management craignant une perte de contrôle dans des structures excessivement silotées ou hiérarchisées. Les inquiétudes ont principalement porté sur la résonance potentielle de problèmes internes.

Evidemment, la collaboration ne se décrète pas, mais elle se trouve facilitée lorsque le RSE est alimenté par des contenus à valeur ajoutée (documents, discussion, vidéos). Ils incitent l’utilisateur à revenir dès sa première visite et surtout à contribuer en répondant aux sollicitations/questions de ses collègues ou en sollicitant de l’aide ou de l’information. Ajoutons que pour les nomades, les remontées de données terrain se trouvent également facilitées par l’utilisation du smartphone.

Toutefois, n’oublions pas qu’un certain nombre de personnes ne connaissent, en tant qu’utilisateurs, ni LinkedIn, ni Twitter. Aussi, la mise en place d’outils ne peut que s’accompagner d’une évolution managériale vers plus de :

  • transversalité ;
  • responsabilité ;
  • collaboration ;
  • communauté ;
  • ouverture vers l’extérieur pour en capter l’intelligence et l’énergie.

Dans toutes ces actions, il est important d’éviter le piège du « comment on s’en sert » sans se replacer dans une logique de transformation de l’environnement socio-économique et de l’entreprise. Trop de projets de RSE ont connu des succès très mitigés car ils sont apparus comme un outil de plus dans un portefeuille déjà bien garni (messageries, médias sociaux, applications diverses…).

Certaines entreprises, comme Orange, utilisent les RSE à merveille : un projet de « LinkedIn interne » qui recensera 25 000 profils est lancé. Son objectif est de mobiliser les compétences de façon directe, le plus rapidement possible pour des projets, en identifiant au mieux les compétences. Les RH et les managers jouent pleinement leur rôle dans la sélection de candidatures toujours plus nombreuses que prévues.

A chacun sa transformation digitale

Sur le front technologique, d’autres avancées se précisent de jour en jour, notamment avec l’intelligence artificielle et l’utilisation des robots dans tous les domaines d’activité. Il faut se faire à cette idée : les choses continueront à progresser dans le futur de façon plus spectaculaire que ce que nous connaissons. Certaines entreprises sauront en profiter rapidement, d’autres plus lentement. Il y aura, comme toujours, les early adopters et les followers.

Chaque entreprise a ses caractéristiques sectorielles, stratégiques et culturelles et chaque transformation digitale sera spécifique. Dans tous les cas de figure, l’essentiel est que l’adoption des évolutions se fasse dans le cadre d’un projet stratégique de transformation clair ; les esprits doivent être préparés à envisager toutes les possibilités qui s’offrent et tous les impacts sur l’activité et l’organisation.

Cela suppose que l’entreprise élabore sa vision digitale pour son évolution : définition d’une cible, affirmation et partage d’une ambition, définition d’objectifs, analyses des initiatives dans le champ concurrentiel et au sein de la filière industrielle, analyse de ses forces et faiblesses.

Cette vision doit être mise en musique. La road map digitale est sa partition : définition du périmètre de transformation et des priorités (processus clés, offres et services, expérience client, expérience collaborateur,…), élaboration du plan de déploiement.

Dans la mise en œuvre, des efforts particuliers sont à faire pour intégrer la culture du digital et ses spécificités. Pour certains, il ne sera pas facile de passer du command and control au test and learn. Il y a aura des erreurs et des échecs. L’essentiel est d’avancer avec tous et pour tous et de s’ouvrir sans cesse, notamment aux partenariats innovants. C’est le mouvement qui doit primer.

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