Le stress, c’est quoi, au juste ?

21 mai 2019 - Auteur : Laetitia Vitaud

Le point de vue de Dr Lavinia Ionita, médecin et entrepreneure

 

Le stress au travail occupe tous les spécialistes de la QVT (qualité de vie au travail) et les professionnels de la santé. Pour l’organisation mondiale de la santé (OMS), le stress est l’épidémie de notre siècle. Mais on en parle tellement qu’on ne sait pas toujours très bien de quoi on parle. Qu’est-ce au juste que le stress ? Existe-t-il des éléments précis et mesurables pour objectiver le phénomène ? Quels sont les leviers d’action dont nous disposons ? Nous avons interviewé Dr Lavinia Ionita, médecin et entrepreneure, spécialiste du stress.

 

WBG : On parle beaucoup de stress. On utilise parfois ce mot pour tout et n’importe quoi. De votre point de vue de médecin, qu’est-ce que le stress ?

L.I. : En effet, il y a une grande confusion autour de ce mot, ne serait-ce que parce que le stress est vécu de manière très différente d’un individu à l’autre. Quand on en parle aujourd’hui, on entend surtout la connotation négative : on associe le stress à l’anxiété, aux troubles du sommeil, à l’épuisement… L’idée étant que le stress rend malade. Pourtant, il existe aussi un stress positif, celui qui nous donne des ailes.

Le stress, c’est un ensemble de mécanismes physiologiques censés nous permettre de réagir à une force extérieure (changement de notre environnement, prédateur, danger immédiat…). Quand une antilope développe du stress face à un guépard, c’est pour sauver sa vie. Les changements hormonaux immédiats qui s’ensuivent vont lui permettre de courir plus vite pour échapper au prédateur. Soit elle en réchappera, soit elle sera mangée. C’est pour cela que l’endocrinologue Robert Sapolsky a écrit que “les zèbres n’ont pas d’ulcères” (Why Zebras Don’t Get Ulcers). Le stress des animaux ne dure pas : il apparaît uniquement quand c’est nécessaire et disparaît après avoir fait le travail (ou après la mort si le stress n’a pas suffi à sauver la vie de l’individu en question).

On pourrait dire que le stress nous a sauvés en tant qu’espèce ! Mais le mécanisme censé nous protéger se retourne contre nous quand le stress devient chronique. En règle générale, nous ne déclenchons pas très souvent le mécanisme du stress pour sauver notre vie. C’est plutôt parce que nous sommes en retard à un RDV, parce que nous appréhendons la réunion qui vient, etc. On peut même enclencher le processus du stress rien qu’en imaginant un danger, ou par anticipation.

Tout le monde comprend assez bien les liens entre le sucre et le diabète, ceux entre le tabac et le cancer du poumon… Mais pour ce qui est du stress, on comprend beaucoup moins bien ce qui se passe. C’est un phénomène qui est relativement mal expliqué par les professionnels de la santé…

 

WBG : D’où nous vient le concept, historiquement ? Depuis quand parle-t-on de stress ?

L.I. : C’est au début du XXe siècle que le concept est apparu. L’un des premiers chercheurs à s’y être intéressé est Walter Bradford Cannon. Il est le premier à avoir remarqué que les malades ont tous quelque chose en commun et qu’ils développent des réactions non spécifiques à des stimuli. C’est à lui que l’on doit l’invention du principe de la « Flight or Fight Response » (réponse combat-fuite) et, après Claude Bernard, le développement du concept d’homéostasie, qui est absolument essentiel en biologie. L’homéostasie, c’est le phénomène par lequel les facteurs clé de notre corps (par exemple, la température, le taux de sucre sanguin…) sont maintenus autour d’une valeur bénéfique pour notre corps, grâce à un processus de régulation. (Comme le fait un thermostat dans une maison !) Notre corps a développé un système sophistiqué (qui implique de nombreuses hormones) capable de maintenir tout un ensemble de facteurs clés à un niveau optimal.

Ensuite, la recherche a bien avancé dans les années 1930, grâce aux recherches d’un endocrinologue d’origine hongroise, Hans Selye, que l’on considère aujourd’hui comme l’un des pionniers des études sur le stress. Dans les années 1930, il a mené plusieurs expériences sur les rats auxquels il avait injecté des extraits ovariens. C’est peut-être parce qu’il était jeune et inexpérimenté, il ne s’y est pas bien pris et a beaucoup stressé les rats. Quand il les a disséqués, il a d’abord cru avoir fait des grandes découvertes en matière d’hormones en constatant que les rats, auxquels il avait injecté des hormones, avaient développé des ulcères gastriques, avaient des glandes surrénales élargies, et un système immunitaire rétréci. Par prudence, il a tout de même renouvelé l’expérience avec un groupe témoin (auquel il n’a injecté que de l’eau saline). Et là, surprise, les deux groupes avaient les mêmes modifications physiologiques (ulcères…).

Qu’est-ce que ces rats avaient en commun ? A partir de là, il fait de nouvelles expériences et soumet un groupe de rats au froid extrême, et un autre groupe de rats au chaud extrême… avec à chaque fois, les mêmes résultats. Il comprend qu’il a découvert quelque chose d’essentiel. Il pose alors les bases de la recherche sur le stress. Le mot « stress », emprunté à la physique mécanique (le stress, en anglais, « contrainte mécanique », en français, « décrit les forces que les particules élémentaires d’un milieu exercent les unes sur les autres par unité de surface », Wikipedia), commence alors à être utilisé de plus en plus fréquemment.

Depuis, le processus du stress nous est beaucoup mieux connu. On en comprend mieux les composantes physiologiques. On sait qu’il y a des modifications physiologiques réelles liées au stress. Plus de doute là dessus.

 

WBG : Et pourtant, on ne parle pas tous de la même chose quand on parle du stress… Notre comportement est modifié (« Flight or Fight »), mais pas de la même manière pour chaque individu. Y a-t-il des moyens médicaux d’objectiver le stress ?

L.I. : Oui, bien sûr. Quand on mesure des paramètres biologiques précis, on peut objectiver le stress. Il y a un décalage important entre la perception du stress et l’impact réel qu’il a sur notre corps. Ce décalage est dangereux en lui-même car souvent, on s’habitue au stress au point de ne plus le ressentir consciemment, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne cause pas de dégâts sur le corps. C’est donc important de savoir de quoi l’on parle. Il y a plusieurs choses que l’on peut mesurer rapidement.

  • Tout d’abord, l’hormone principale du stress, c’est le cortisol, sécrété par les glandes surrénales. Il existe une courbe de sécrétion quotidienne que l’on peut mesurer facilement, grâce à plusieurs prélèvements de salive au cours d’une journée. Un rythme « normal » de sécrétion voit un pic de cortisol le matin, puis un plateau, puis une chute de la sécrétion. Cette courbe doit suivre notre rythme de travail et de vie. Si la sécrétion est trop importante le soir, par exemple, il s’ensuivra des problèmes de sommeil. Si le niveau est vraiment trop élevé le matin, on conseillera à un patient de méditer le matin (plutôt que d’aller faire un footing ou une séance de boxe). Cette sécrétion nous donne beaucoup d’indices, notamment sur le burnout. Quand on arrive au stade où le corps a du mal à sécréter l’hormone qui permet de dépasser le stress, alors il y a burnout.
  • Ensuite, il y a la DHEA, une autre hormone sécrétée par les glandes surrénales. La DHEA contrecarre les effets négatifs du cortisol. Les deux hormones fonctionnent de concert. C’est un indicateur supplémentaire.
  • Il y a aussi la dopamine, la sérotonine, l’adrénaline et la noradrénaline, l’ensemble des catécholamines dont le taux augmente dans le sang quand on est en état de stress. Au cours d’une activité physique, ce sont ces catécholamines qui induisent des modifications physiologiques de l’organisme (augmentation de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et du taux de glucose dans le sang). Ce sont ces hormones qui nous permettent de réagir pour nous défendre face à un danger. L’adrénaline va faire que notre coeur bat plus vite et qu’on peut courir plus vite. Ça peut nous sauver la vie face à un prédateur. Ce surplus d’énergie se produit au détriment des autres fonctions de l’organisme : quand il s’agit de courir plus vite pour sauver sa peau, le corps se préoccupe moins de la digestion, ou de l’immunité… tout le reste fonctionne au ralenti.

Le mécanisme du stress n’est pas fait pour être tout le temps en marche. On ne peut pas soutenir ce surplus sur le long terme, parce qu’on le paye cher. Bien sûr, on voudrait tout le temps avoir des ailes et courir plus vite… mais ça ne marche pas sur le long terme. Il y aura plus de risque qu’on développe des ulcères, de l’hypertension, on perdra sa libido… on aura aussi une moins bonne mémoire, un état dépressif… Avec trop de stress, le cerveau commence à rétrécir. On a tendance à penser qu’en mettant toute son énergie dans le travail, on travaillera forcément mieux. Mais c’est faux. Less is more, en matière de travail. On aura plus d’énergie et de créativité si on s’autorise à se reposer et à faire autre chose. Il faut que le stress redescende…

 

WBG : Parmi tous les patients stressés que vous avez vus en consultation, combien l’étaient à cause du travail ? Quelle part de notre stress est liée au travail ?

L.I. : Beaucoup. Difficile de dire un chiffre précis. Si l’on regarde les statistiques, c’est environ 40% des gens qui déclarent être stressés au travail. C’est déclaratif. On ne sait pas quel est le chiffre exact. Il y a aussi des gens qui ne se disent pas stressés mais ont mal au ventre et dorment mal…

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une maladie honteuse et qu’il n’y ait pas de raison de penser qu’il y a un gros décalage entre les déclarations et la réalité, il y a quand même une résistance plus ou moins consciente. Quand on est en haut de la hiérarchie, ça n’est pas évident de dire « je suis stressé ». Le non dit est assez courant. Le déni aussi. D’autres personnes sont convaincues de ne pas être stressées parce que, disent-elles, « je suis comme ça, c’est ma nature ». Il y a une mauvaise compréhension du terme « stress ». Ça n’est pas souvent objectivé. On mesure davantage la glycémie que le cortisol…

 

WBG : En entreprise, qu’est-ce qui est déterminant pour réduire le stress ?

L.I. : Je pense qu’il y a deux facteurs très importants. Le premier, c’est le bon recrutement, afin que les gens soient bien à leur place. La surcharge de travail et les deadlines irréalistes, ce sont aussi des sujets de recrutement. Une personne qui n’a pas le bon profil va être beaucoup plus dans le stress. Mais inversement, quelqu’un pour qui tout serait trop facile et donc ennuyeux, éprouve également du stress.

La deuxième chose, c’est une culture managériale qui laisse la place à l’innovation. Quand on est encouragé à prendre des risques parce que l’échec est bien accepté, alors on est autorisé à se planter, et il y a moins de stress.

On pourrait aussi parler de l’environnement de travail, de la lumière, de l’ergonomie, du cadre bienveillant… Beaucoup d’entreprises pensent à encourager le sport, le yoga, la méditation et les loisirs via le comité d’entreprise. Peut-être qu’elles pourraient également donner à leurs employés plus d’outils pour gérer leur stress, en leur offrant la possibilité d’évaluer, d’objectiver ce stress médicalement.

 

WBG : Votre startup a fait du stress sont sujet principal. De quoi s’agit-il ?

Akesio, l’entreprise que j’ai créée, a développé un service pour mesurer les paramètres biologiques du stress et proposer un programme personnalisé pour mieux gérer son stress, avec des recommandations sur le style de vie, des compléments alimentaires, des conseils nutritionnels, etc.. Je le faisais déjà (et le fais encore) en tant que médecin. En effet, les symptômes les plus fréquents que j’ai observés dans mes consultations (fatigue, maux de tête, problèmes de peau, de digestion, surpoids, troubles du sommeil, etc.) sont plus ou moins tous liés au stress, qui influence potentiellement toutes les maladies. Mais quand on est médecin, il y a des limites au nombre de patients que l’on peut aider directement. Avec ma startup j’aimerais aider plus de gens à devenir autonomes, à prendre en main leur santé de manière objective mais aussi facile et agréable (avec des datas et des outils)…

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