Pourquoi les entreprises d’assurance doivent-elles se mettre au contract management ?

07 juillet 2017 - Auteur : Nadine Jaouiche

Dans une économie où l’on recherche de la productivité dans chaque étape de la chaîne de valeur, les petites comme les grandes entreprises ont de plus en plus recours à l’externalisation. Cependant, le pourcentage d’externalisation des entreprises varie selon la taille de la structure ainsi que son secteur. Le cabinet Deloitte a récemment publié un rapport sur l’évolution de l’externalisation et montre que les sociétés de moins de 50 salariés externalisent en moyenne 57% de leurs services, pour celles de 50 à 100 salariés cela représente 79% de leur activité et pour les entreprises de plus de 500 salariés, cela peut aller jusqu’à 80%. Le secteur de la banque et assurance, qui obtient un taux de 78%, figure parmi les plus avancés du panel. L’externalisation peut alors concerner des activités support (informatique, comptabilité, etc) mais aussi des actions stratégiques touchant le cœur de métier comme la gestion des souscriptions ou des sinistres.

 

 

Se retrouvant au cœur du modèle organisationnel, voire au contact direct des clients, les prestataires participent donc activement au résultat de l’entreprise d’assurance et doivent de ce fait être intégrés à son dispositif de pilotage global. Impératif de bon sens, il est aussi réglementaire depuis l’entrée en vigueur en 2016 de la directive Solvabilité 2.

En effet, celle-ci qualifie certaines activités ou fonctions d’importantes ou critiques. C’est principalement le cas de celles dont l’interruption est susceptible :

  • d’avoir un impact significatif sur l’activité de l’organisme d’assurance,
  • d’avoir un impact significatif sur sa capacité à gérer efficacement les risques,
  • de nuire à la prestation continue d’un niveau de service satisfaisant à l’égard des assurés.

Ainsi, « lorsque l’exécution d’une activité ou fonction importante ou critique est confiée à un tiers, l’organisme d’assurance doit néanmoins en conserver la maîtrise, et analyser pour chaque externalisation le coût de la prestation, sa capacité à trouver un autre prestataire ou à reprendre l’activité en direct si nécessaire ainsi que les conséquences potentielles d’un retard ou défaut du prestataire » (Source : ACPR).

Cependant, la loi ne précise pas clairement les moyens exacts à mettre en œuvre et laisse à cet égard aux assureurs une totale liberté d’action tout en appliquant le principe de proportionnalité.

Les limites des logiques de contrôle

Dans ce contexte, tous les assureurs se posent la même question : Comment assurer un contrôle efficient d’activités réalisées en dehors de mon organisation ?

Le premier point est évidemment le contrat, qui reste l’élément central du dispositif de pilotage. Il spécifie les engagements de services (Service Level Agreement), les obligations juridiques (confidentialité, propriété et sécurité des données, ou alors continuité et modalités de réversibilité des activités) ou de conformité (clause liée à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme par exemple). Mais comment vérifier la correcte exécution de ces exigences ?

La première réponse apportée par les acteurs a longtemps été une logique de contrôle, matérialisée contractuellement par des indicateurs de performance (Key Performance Indicators), des modalités reporting régulier et d’audit périodique, voire des pénalités en cas de défaillance ou de retards significatifs dans l’exécution.

Quoiqu’indispensable, cette logique prise isolément ne suffit pas à créer une relation pérenne entre le client et son prestataire. Car si « la confiance n’exclut pas le contrôle », le contrôle seul détruit la confiance et favorise l’apparition inéluctables de comportements néfastes sur le long terme. Parmi de nombreuses recherches sur ces sujets, citons Williamson, qui a théorisé dans ses recherches (1985) le concept d’opportunisme. Il peut être défini comme « la recherche de l’intérêt personnel avec ruse». Williamson distingue trois types d’opportunisme :

  • L’opportunisme ex-ante sous forme de sélection adverse, bien connue des actuaires par ailleurs. Il équivaut à une tricherie avant la signature du contrat, rendu possible par la présence d’asymétries de l’information.
  • L’opportunisme ex-post sous la forme du hold up. De manière simplifiée, il se définit comme un comportement différent de ce qui avait été prévu et anticipé par les partenaires, par exemple une diminution de la qualité des prestations rendues. Ce risque est plus élevé quand un des partenaires risque des coûts importants en cas de de cessation de la relation.
  • L’opportunisme ex-post sous forme de hasard moral. Il se présente comme une tricherie pendant la phase d’exécution, rendue possible par l’incomplétude des contrats et parce qu’il impossible ou trop coûteux pour le partenaire de savoir s’il en a été ainsi.

Est-ce à dire que toutes les relations client-fournisseur sont vouées au conflit, pouvant aller jusqu’au règlement judiciaire ? Wathne et Heide (2000), entre autres, se sont intéressés aux réponses possibles à l’opportunisme, et proposent notamment :

  • La sélection du partenaire sur la base de critères précis et les plus exhaustifs possibles (avec le risque de pertinence de choix desdits critères)
  • L’incitation, qui vise à faire coïncider les intérêts de tous (par exemple au travers de mécanismes de primes ou de pénalités). Elle permet d’agir ex-ante en réduisant la dépendance des acteurs
  • La surveillance, afin de réduire l’asymétrie d’information. Elle nécessite au préalable un contrat explicite qui légitime la surveillance auprès des acteurs
  • La socialisation, qui consiste à promouvoir les objectifs convergents de toutes les parties. Toutefois l’efficacité de la socialisation dépend de l’implication des parties dans la relation.

Le contract management ou comment pérenniser la relation client / prestataire

Notons que les 3 premières réponses proposées sont antérieures à la signature. Mais aucun contrat, aussi complet et détaillé soit-il, ne peut prétendre anticiper l’ensemble des situations propices aux comportements opportunistes.

C’est pourquoi, le meilleur moyen de pérenniser la relation client / fournisseur est de définir et mettre en œuvre une stratégie contractuelle adaptée, dans le cadre d’une réponse de type « Socialisation », en favorisant la voie transactionnelle, et de façon plus générale, par la mise en place d’une dynamique gagnant-gagnant.

Le postulat de base est de reconnaître que les risques d’opposition des intérêts n’impliquent pas une relation conflictuelle et agressive, mais qu’à l’inverse une relation de partenariat équilibré ne peut exister sans que les lignes soient tracées et les responsabilités définies et suivi. En définitive, la protection contre les risques contractuels a un rôle vertueux à la fois d’un point de vue financier et culturel (culture de responsabilité des fournisseurs et de respect mutuel).

Complémentaire du(des) chef(s) de projet [1], le contract manager apparait alors comme un élément clé de la relation entre l’assureur et son prestataire, veillant à l’équilibre général des forces en présence dans le cadre du contrat. Il est, à ce titre, en charge notamment de la coordination de la gouvernance contractuelle, du suivi  des obligations réciproques, et de la mise en perspective des évènements du contrat (y compris les inexécutions / défaillances éventuelles).

De façon plus large, il s’attache à mettre en place une relation ou le rapport de force cède la place à une logique de partenariat plus agile et plus constructive.

Si certains banquiers commencent à y venir, peu d’assureurs peuvent aujourd’hui se targuer d’avoir mis en place un processus conscient et structuré de contract management,  appliqué et diffusé largement dans l’organisation.

Or les chiffres sont clairs: alors qu’auparavant, l’externalisation était une question de réduction de coûts, elle devient maintenant un moyen de se procurer un savoir-faire non disponible dans la société ou plus difficile à fidéliser. Les clients voient dans l’externalisation des activités un levier puissant d’innovation et de captation de bonnes pratiques.  Or cette dimension ne peut exister pleinement sans une montée en maturité des organismes d’assurance sur la gestion de leurs prestataires.

[1] Voir « Le contract management – Alain Brunet et Franck César – Editions Eyrolles – p212

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