Ce que les hackers ont à nous apprendre

04 septembre 2015 - Auteur : Angeline Prévotat

C’est à San Francisco que Michel Lallement, sociologue et professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a décidé de poser ses bagages pour étudier le phénomène des hackerspaces, ces espaces collaboratifs qui rassemblent des passionnés de création. Emprunts d’idées libertaires, allant à contre-courant des règles classiques du monde du travail, pourquoi s’y intéresser ? « Certains d’entre eux ne cachent pas, plus encore, leur appétence pour le paradigme anarchiste auquel ils empruntent le goût pour la liberté (en opposition aux contraintes imposées par le marché et les bureaucraties), le refus des hiérarchies ou encore le rejet des décisions non consensuelles »[1]. Ce qui nous interpelle, au-delà de l’idéal politique c’est le rapport au travail, au management, aux autres et plus globalement l’éthique de la démarche. A l’heure où innovation, bien-être au travail et performance sont devenus des standards, que faut-il retenir de ces espaces pionniers en marge des règles et codes établis ?  Comme le souligne Michel Lallement, « L’esprit des hackers souffle (…) dans des lieux où l’on ne fait pas que fabriquer des programmes informatiques »[2] et ce n’est peut-être pas un mal…

  • Du hacker au hackerplaces

Le terme « hacker » vient de l’anglais « to hack », rentrer par effraction. Il désigne à l’origine une personne qui cherche à contourner les protections d’un logiciel ou d’un système informatique. On l’utilise dans les années 80 pour parler des « pirates » informatiques ou petits génies qui s’amusaient à craquer les codes informatiques des jeux vidéo pour en revendre des copies. Avec l’émergence des nouvelles technologies, le champ d’action des hackers s’est largement diversifié, allant du piratage de sites Internet aux systèmes d’informations en passant par des lignes téléphoniques ou des cartes bancaires. Leurs dernières intrusions ont désormais leur place dans les rubriques Sécurité informatique ou cybercriminalité de nos journaux. Administration, compagnie aérienne ou site de rencontres, aucune sphère de l’économie n’est aujourd’hui épargnée par les « script kiddies », « crackers » ou « hacktivistes ».

 

Si aujourd’hui le hacker a encore mauvaise réputation, certaines écoles se lancent dans la formation de « gentils hackers » – ou « white hacker », comme à Budapest où les étudiants triés sur le volet y apprennent le « piratage éthique », celui qui vise à protéger les institutions et les entreprises contre les attaques informatiques. Qu’y apprennent-ils ? Comment infiltrer un système bien sûr, mais aussi comment infiltrer des organisations. En effet, très souvent, les hackers ont besoin d’une personne tiers au sein de l’entreprise pour leur communiquer des informations confidentielles. « Bonjour, je suis le nouveau chef adjoint de la maintenance informatique, il va falloir qu’on change les mots de passe, pouvez-vous me donner le vôtre ? C’est incroyable, mais la majorité des gens s’exécutent !»[3] raconte Adám Baneth, PDG de Whiteshield, une entreprise spécialisée en sécurité informatique.

Les premiers hackerplaces empruntèrent aux hackers leur nom et leur philosophie. Le Chaos Computer Club fut le premier à ouvrir ses portes à Berlin en 1981. Il se reconnait alors comme une «l’une des organisations digitales les plus influentes, le centre de la culture digitale allemande, de la culture hacker, de l’hacktivisme, lieu de rencontre entre démocratie et droit digital»[4]. Le modèle s’est d’abord développé en Allemagne avant de s’implanter aux Etat-Unis dans les années 2000 avec le NYC Resistor à New York, HaCDC à Washington et Noisebridge à San Francisco. Plus récemment, en 2010, bien que l’utilisation d’Internet soit hautement contrôlée, un premier hackerplace a ouvert à Shanghai.

Dans les années 2000, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) a proposé son propre modèle, appelé FAB LAB (Fabrication Laboratory), dont le fonctionnement est régi par une charte. Ateliers collaboratifs tournés vers la conception au sens global du terme, ils vont aujourd’hui plus loin que la création d’algorithmes ou de logiciels et envahissent des domaines tels que les appareils électriques ou électroniques, les objets de la vie quotidienne mais aussi les vêtements ou la nourriture. Ils rassemblent des admirateurs de sciences et technologies qui utilisent des imprimantes 3D ou des découpes laser mises à disposition par le FAB LAB.

 

  • Faire vivre l’esprit du Hacker

Lubie post anarchique ou nouvelle réalité du travail, que faut-il retenir du mouvement de ces hackers que Michel Lallement appelle désormais des makers ?

1. Nous avons tous besoin de co-workers

A l’heure du télétravail, des conf-call et outils vidéos, notons que ces passionnés se retrouvent dans un lieu physique pour travailler ensemble. Si le travail à distance a indéniablement des effets positifs sur le moral ou la productivité des employés, il est parfois bon de rappeler que le fait de se rassembler est aussi bénéfique tant par sa dimension sociale que récréative et créative. A cet effet, plus de 120 espaces de travail partagé ont ouvert en France ces dernières années dont la moitié à Paris. Ces bureaux partagés permettent non seulement de réduire les frais de structure mais offrent avant tout un lieu de partage avec des collègues, le temps d’une pause ou d’un déjeuner.

2. Améliorons en continu

Les hackerplaces ont la volonté de s’ouvrir aux non spécialistes afin d’aborder tous les aspects liés à la fabrication des objets, à l’image de ce qui se fait au sein d’une entreprise : le marketing identifie des besoins, la R&D propose des solutions, la communication prépare les messages, les ventes assurent la distribution. En revanche, à l’inverse de l’entreprise, la conception de l’objet ne s’y arrête pas, le réseau entre en jeu afin de le perfectionner, notamment grâce à Internet. Chacun est libre de le corriger, compléter, peaufiner pour en améliorer ses finalités.

 

3. Encourageons l’usage des « produits – services »

Quel bricoleur curieux ou ingénieux aurait aujourd’hui les moyens de s’offrir une imprimante 3D pour fabriquer des objets dans son garage ? Les FAB LAB mettent en lumière le fait qu’il n’est pas nécessaire de posséder une machine pour en faire bon usage et que, chacun est responsable de son bon fonctionnement et sa bonne utilisation. A l’image des premières démarches lancées par Xerox ou Michelin, ce n’est pas d’une photocopieuse ou d’un pneu dont nous avons besoin, mais d’imprimer et parcourir des kilomètres. Tout l’intérêt du vendeur (et de fait, du consommateur) est de faire durer le produit le plus longtemps possible pour jouir d’une utilisation maximale dans le temps.

4. Cherchons à innover en dehors de l’entreprise

C’est de la diversité que nait la confrontation et c’est de la confrontation que naissent les idées. A l’image des grandes campagnes de crowdfounding lancées par Doritos (Crash the SuperBowl), Heineken (Remix our Future), Mc Donald (Create your taste) ou encore LEGO (Projets CUUSOO) ces espaces nous rappellent que les meilleures idées naissent là où on ne s’y attendait pas. Amateur, afficionado, consommateur régulier, marketeur, ingénieur… qui est plus à même de connaitre et comprendre les besoins d’un futur consommateur, d’en définir les contours et de bâtir une solution ? De nouveaux acteurs, tels que EYEKA, se sont d’ailleurs spécialisés sur ce sujet en proposant des plateformes collaboratives visant à ouvrir les appels à idées. S’il vous reste 2 minutes, jetez un coup d’œil à la vidéo ORAL B

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Pour les curieux, lire le dernier ouvrage de Michel Lallemant, à paraitre chez Seuil : L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie.

[1] http://www.scienceshumaines.com/travail-l-age-du-faire_fr_33826.html

[2] http://www.scienceshumaines.com/travail-l-age-du-faire_fr_33826.html

[3] http://www.liberation.fr/monde/2014/10/13/hongrie-a-l-ecole-des-gentils-hackers_1120836

[4] http://www.theguardian.com/world/2014/nov/09/berlins-digital-exiles-tech-activists-escape-nsa

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