Transports : ouvrons les données pour développer le multimodal !

15 octobre 2016 - Auteur : Laetitia Vitaud

Pour des milliards d’utilisateurs connectés, la révolution numérique ce sont ces dizaines d’applications user-centric, qui leur rendent des services personnalisés au quotidien. Ces produits satisfont deux critères : ils sont à la fois de grande qualité et réplicables à très grande échelle. Comme l’explique l’entrepreneur américain Babak Nivi, le propre de l’économie numérique, c’est l’alliance de ces deux éléments : la qualité et la grande échelle.

Dans la filière des transports, la révolution numérique change la vie des utilisateurs. Des applications comme Uber et Lyft ont démocratisé le transport individuel avec chauffeur et convaincu davantage d’urbains de renoncer à la possession d’un véhicule individuel. Amazon a transformé le secteur et les métiers du transport de marchandises autour de la notion de “logistique du dernier kilomètre”. Dans les deux cas, c’est la notion de transport multimodal qui sera critique pour toutes les évolutions encore à venir – c’est-à-dire la connexion fluide des différents moyens de transport au service du transport d’un passager ou d’une marchandise d’un point A à un point B.

Avec le numérique, la possibilité de transport multimodal s’accompagne d’une multitude de services individualisés. Les applications centrées sur les utilisateurs, dont Uber n’est que la partie émergée et controversée de l’iceberg, sont un immense vivier de nouveaux emplois. Ces emplois sont en grande partie des emplois pour des travailleurs indépendants, souvent moins qualifiés que ceux des professionnels qu’ils viennent “disrupter”, mais aussi des emplois qualifiés, de gestion, de communication, de développement informatique.

Le problème, c’est que la transition numérique des transports soulève des tensions et des résistances qui peuvent nous faire passer à côté de ces nouvelles opportunités. Or si nous privilégions systématiquement le statu quo, nous risquons de perdre la bataille industrielle, tant en terme de création de valeur que d’emplois et du développement des nouveaux usages.

Le transport multimodal : des nouvelles opportunités dans le transport des personnes

Le transport multimodal, qu’on appelle aussi “transport intermodal” ou “transport combiné”, consiste à assurer un trajet en empruntant successivement différents modes de transport. Dans le transport des marchandises, il s’est développé bien avant la révolution numérique, notamment dès la fin des années 1960, grâce à la révolution des conteneurs (bateau, rail, route). Le terme s’applique dès qu’une logistique unifiée s’applique du point de départ au point d’arrivée.

Dans la mobilité des personnes, le transport n’est encore que rarement multimodal, bien que de nombreux services et entreprises revendiquent désormais ce terme. Le réseau de la RATP à Paris combine le métro et les bus depuis longtemps. Mais les services permettant aux usagers d’optimiser leurs trajets dans le temps en utilisant différents moyens de transports sont encore rudimentaires ou inexistants – et ils n’intègrent pas le co-voiturage, les services de VTC ou des informations cruciales pour l’optimisation des trajets comme la bonne sortie de la station de métro ou bien l’opportunité de monter en queue ou en tête de la rame. Google, Apple, Mappy etc. offrent quant à elles des indications dans leurs services de cartes, mais ces services n’intègrent pas toujours les données relatives au trafic ou aux transports en commun (pannes, grèves, accidents).

Or les usagers d’aujourd’hui, particulièrement les urbains, deviennent de plus en plus agnostiques quant au moyen de transport. Ce qu’ils veulent, c’est arriver à bon port, soit au meilleur prix, soit au plus vite, soit dans les plus grandes conditions de confort (les usagers les plus écologiques pourront également faire un arbitrage qui inclut l’empreinte carbone des transports utilisés).

L’ouverture des données est un passage obligé

De nombreuses avancées technologiques contribuent à transformer les transports : la voiture autonome, l’utilisation de capteurs, de nouveaux matériaux, des sources d’énergie alternatives, etc. La question de l’arrivée des voitures ou camions sans chauffeur occupe l’essentiel du débat sur le futur des transports. Or les barrières réglementaires, technologiques et culturelles sont telles qu’elles nous laissent encore au moins une décennie “en attendant”. La question des véhicules autonomes nous fait centrer le débat sur la destruction d’emplois et la technologie et nous fait passer à côté de la question du développement d’applications grand public… dont d’autres startups et entreprises s’emparent. En d’autres termes, la question du long terme (l’arrivée des véhicules autonomes) ne devrait pas nous faire oublier le court et moyen terme. Car, comme le disait Keynes, “à long terme, nous serons tous morts” !

Pour créer de nouvelles applications, encore faut-il des données. Le problème, c’est qu’il existe des réticences et lenteurs en matière d’ouverture des données. En France, un nouvel article (L 1115-1) du Code des Transports, issu de la loi “Macron”, fait de l’ouverture des données dans les transports une priorité. Mais les opérateurs en font une interprétation minimaliste et adoptent une attitude attentiste en la matière. La disposition en question, qui date de 2015, impose aux opérateurs de “services réguliers de transport public de personnes” (train, métro, avion…) et de “services de mobilité” (services de covoiturage, vélos et voitures en libre partage, etc.) de diffuser “immédiatement et gratuitement” les informations destinées aux voyageurs : les arrêts, horaires, tarifs, accessibilité aux handicapés, disponibilités des services, incidents sur le réseau. L’idée était de faire émerger des applications susceptibles d’offrir aux usagers une information “multimodale” en temps réel. Mais cette idée peine à s’imposer dans les faits. La plupart des opérateurs ne se conforment pas encore à ces dispositions ou peinent à se mettre d’accord sur les standards de format des données. Les horaires des TGV restent absents de la plateforme de données ouvertes de la SNCF, qui refuse toujours de rendre l’accès à ses données libre et gratuit pour tous les développeurs.

Le développement d’applications innovantes se heurte à de nombreux autres obstacles

Différentes formes de corporatisme freinent l’émergence de nouvelles applications de transport. A l’image du secteur des taxis, qui livre une guerre sans merci aux entreprises de VTC et à leurs chauffeurs, les acteurs traditionnels du transport préfèrent se préoccuper de la protection des insiders (les professionnels du transport) plutôt que des manières de satisfaire les nouvelles attentes des consommateurs. Ces résistances sont compréhensibles face à l’ampleur du changement induit par le numérique. On les retrouve dans nombre de pays, parfois sous des formes un peu différentes. En Allemagne, par exemple, le désir de protéger les insiders est renforcé par les craintes d’atteinte à la vie privée des personnes. Les applications américaines comme Uber y sont relativement moins développées que dans d’autres pays.

De nombreuses startups proposent aujourd’hui des services de livraison qui font travailler quantité de travailleurs indépendants, souvent grâce au statut d’auto-entrepreneur (comme les startups qui livrent des plats préparés : voir notre article WillBe Group sur le sujet). Ces startups transforment le monde du transport en mettant en avant l’enjeu de la “logistique du dernier kilomètre”, auquel les acteurs traditionnels du transport sont peu préparés, voire hostiles. Ces travailleurs indépendants sont souvent écartés des discussions par les institutions publiques, qui voient en eux, à tort, une foule d’étudiants précaires peu “sérieux”.

Les obstacles sont également d’ordre culturel. Beaucoup restent prisonniers de l’idée selon laquelle l’innovation passe par la technologie. Le problème, c’est que l’obsession de la technologie rend les entreprises moins offensives sur les applications low-tech (celles qui reposent sur des algorithmes et des interactions humaines plutôt que sur des véhicules high-tech), caractéristiques de l’économie dite “collaborative”. Or ce sont ces applications qui ont le plus transformé le monde des transports à l’échelle globale. On est également souvent prisonnier d’une dichotomie simpliste qui sépare les transports en commun (pour les pauvres et les classes moyennes) et le transport individuel (pour les riches), alors que le développement massif du covoiturage pourrait tout à fait assurer à la majorité d’entre nous un transport moins cher et de meilleure qualité que les transports en commun (à capacité équivalente).

Conclusion

Il est intéressant de réfléchir aux conséquences de l’arrivée des véhicules autonomes. Mais il est dangereux de négliger le développement d’applications grand public “multimodales”, qui présentent des opportunités de marchés (et de créations d’emplois) considérables.

Si nous n’y prenons pas garde, notre offre de transports pourrait rester sous-dimensionnée par rapport à nos besoins. Elle créerait aussi de moins en moins d’emplois : l’automatisation serait notre seul horizon et les robots finiraient par l’emporter.

La vision du fondateur de Lyft, exposée dans un article paru il y a deux semaines sur Medium, défend l’idée que les applications de covoiturage constituent, après la révolution du rail et celle de la voiture individuelle, une “troisième révolution des transports”, susceptible de transformer profondément le paysage urbain. Elle s’accompagne de multiples opportunités que nous aurions tort de laisser passer.

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