Comment les startups transforment les règles de la communication… en faisant la transparence sur leurs faiblesses

19 janvier 2017 - Auteur : Laetitia Vitaud

La communication d’entreprise a transformé ses pratiques, ses usages et ses méthodes avec l’arrivée de l’internet et des réseaux sociaux. Elle est devenue une discipline de tous les jours. Mais dans l’esprit, elle est souvent restée la même : il s’agit de l’ensemble des actions de communication visant avant tout à donner une image positive de l’entreprise vis-à-vis de ses clients, fournisseurs, prestataires et éventuels candidats. Les faiblesses, difficultés, situations délicates (comme un problème de qualité ou un redressement judiciaire) ne doivent surtout pas être visibles.

Dans les grandes entreprises, il y a la communication “institutionnelle”, d’une part, et la communication de marque, d’autre part, ce qui relève de la publicité pour vendre les produits. De plus en plus, le brouillage de ces deux formes de communication commence à se faire sentir, ne serait-ce que dans le vocabulaire utilisé. Ainsi, on parle aujourd’hui de “marque employeur” comme on parle de “marque utilisateur”. Les grandes entreprises savent bien qu’elles ne peuvent plus être complètement cloisonnées.

Mais c’est avec les startups que la communication se transforme de la manière la plus radicale. Elles poussent à son extrême le brouillage entre toutes les formes de communication, pour faire de la transparence la plus totale — réelle et / ou mise en scène — un vecteur de leur croissance. Non seulement, elles ne font pas la distinction entre la marque employeur et la marque utilisateur, mais elles font même levier de leurs faiblesses et de leurs échecs, comme autant d’histoires destinées à produire de la confiance et de l’empathie. Ces deux valeurs jouent un rôle d’autant plus critique pour les entreprises numériques que les barrières à l’entrée sont faibles. Sans la confiance de leurs utilisateurs, elles peuvent se faire renverser du jour au lendemain.

Un exemple récent illustre cette tendance : lorsque Save, une jeune startup spécialisée dans la réparation de smartphones et tablettes, a été placée en redressement judiciaire (sa croissance trop rapide a mis en danger la santé de ses comptes), son PDG, Damien Morin, ne s’est pas muré dans le silence. Il s’est au contraire fendu de plusieurs billets de blogs sur la vie de PDG d’une entreprise en redressement judiciaire, la nécessité des efforts et l’optimisme pour l’année 2017 à venir (voir ici son billet “Save 2017”). Les difficultés rencontrées servent à nourrir l’épopée de la startup…

Pour un startup, la transparence est essentielle

Faute d’avoir les moyens d’une grande entreprise et parce que la culture y est radicalement différente, les startups ne communiquent pas comme les entreprises traditionnelles. Dans le monde du numérique, on a coutume de dire que les RP (relations publiques) sont mortes. C’est l’objet du livre d’un vétéran des RP, Robert Phillips, paru en 2015. Dans Trust Me, PR is Dead, il explique que plus personne ne fait confiance aux experts des relations publiques. Les clients se font escroquer car ils n’obtiennent aucun résultat ; les consommateurs sont devenus cyniques et désengagés. D’après lui, les relations publiques seraient mortes parce que plus personne, ni les clients ni le marché, n’a confiance dans ce qui peut en sortir. L’absence de transparence et de mesure fiable de son efficacité contraste avec une culture grandissante de la data. Pour Robert Phillips, la crise de 2008 a été un élément déclencheur : la crise bancaire, économique et démocratique où nous sommes encore a détruit ce qui restait de confiance dans les institutions traditionnelles. “La confiance se déplace inexorablement des institutions vers les citoyens. Aucun discours ne peut arrêter ce mouvement.

Si les grandes entreprises ne voient pas forcément l’intérêt de la transparence, les startups, elles, grandissent dans une jungle dense où peu survivent plus de deux ans. Partager plus d’informations avec le public que les autres, c’est un moyen de se faire remarquer des investisseurs, des candidats et des utilisateurs. Plus ils en savent sur vous, plus ils seront intéressés par ce que vous faites.

Il s’agit de montrer les coulisses pour enrôler les utilisateurs dans la création de valeur

Une manière d’intéresser le public est de lui dévoiler les coulisses de l’entreprise. Il s’agit d’une rupture avec le mode de production du XXe siècle. Autrefois, l’objectif était d’amener un produit parfait sur le marché : ce produit n’était fabriqué et distribué à grande échelle que lorsqu’il était impeccable. Les éventuelles faiblesses et défauts du produit ne devaient en aucun cas être révélées au public, puisqu’il était impossible de les corriger avant plusieurs années. Nul besoin de fournir au consommateur des secrets de fabrication (d’autant moins que la concurrence pourrait s’en emparer pour vous copier). La frontière était claire entre le producteur et le consommateur.

En surface, le produit. Dans l’eau, la fabrication.

Dans l’économie numérique, cette frontière se brouille toujours plus. Comme l’expliquent Nicolas Colin et Henri Verdier dans L’Âge de la multitude, paru chez Armand Colin en 2012, l’essentiel de la valeur se crée aujourd’hui en dehors des organisations. Ce sont les utilisateurs qui font la valeur des algorithmes et fournissent les précieuses données (Facebook, Google, Waze …). Lorsqu’il y a des effets de réseaux, c’est encore plus vrai. Même le code informatique est au moins partiellement créé en dehors des organisations : lorsqu’ils créent de nouveaux logiciels et applications, la plupart des développeurs viennent “piocher” des briques de code open source sur des plateformes comme GitHub. L’utilisateur a besoin d’information sur le processus de production parce qu’il en fait partie intégrante !

Dans ce contexte nouveau, les défauts d’un produit peuvent être révélés au grand jour car le produit est constamment en chantier. Les utilisateurs early adopters testent une version beta qui sera améliorée dès que les premières données seront collectées. S’il n’existe plus de produit parfait, c’est parce que les utilisateurs et leurs besoins sont en évolution constante. Facebook, par exemple, teste quotidiennement des nouveaux services et fonctionnalités sur des échantillons de sa base d’utilisateurs (échantillons qui peuvent tout de même comporter des millions de personnes !). Cette méthode appelée A/B testing permet d’intégrer rapidement des améliorations dont on a mesuré l’impact et la popularité.

Puisque l’utilisateur sait que le produit n’est pas fini, communiquer sur ses imperfections prend un tout autre sens, plus positif : cela revient en réalité à communiquer sur le processus constant d’amélioration. L’utilisateur n’est donc pas effrayé par les imperfections, mais rassuré par la dynamique d’amélioration permanente.

Et de produire un sentiment d’appartenance et un POURQUOI

Pour enrôler l’utilisateur dans le processus de production, il est important qu’il ait l’impression d’être une partie prenante, qu’il vive les peines, apprécie les victoires et veuille relever les défis de l’organisation pour laquelle il crée de la valeur. Il doit avoir le sentiment de faire partie de l’aventure.

C’est ce qu’explique Simon Sinek dans son livre Start with WHY : “Les gens n’achètent pas votre QUOI, ils achètent votre POURQUOI. Nous sommes attirés par les leaders et les organisations qui savent communiquer sur ce en quoi il croient. Leur capacité à produire un sentiment d’appartenance, à nous donner le sentiment d’être quelqu’un qui compte, à nous convaincre que nous ne sommes pas seuls, c’est cela qui est inspirant”.

L’authenticité s’incarne dans une figure humaine, héroïque et faible à la fois

Comme nous l’avons écrit dans cet article consacré à “Airbnb ou l’art de l’épopée” : “Facebook, Google, Amazon, Apple, ou encore AirBnB ont créé et propagé leurs épopées, avec leurs figures de héros, les séries d’obstacles qu’ils ont dû affronter et les exploits mythiques qu’ils ont dû accomplir pour triompher. Ces récits – le “storytelling” – accompagnent la construction d’empires puissants qui dépassent largement la nation dont ils sont issus. Les héros (Jeff Bezos, Marc Zuckerberg, Steve Jobs, Elon Musk, etc.) sont exceptionnels et faillibles à la fois. Ils sont devenus des figures mythiques inspirant une culture forte pour attirer les utilisateurs et recruter les talents. Tout se passe comme si les grandes entreprises numériques avaient remplacé les nations dans notre imaginaire collectif.

La démarche de Damien Morin, fondateur de Save, s’inscrit bien dans cette tendance. Le lecteur peut s’identifier. Les revers et difficultés ne rendent pas le personnage moins héroïque, mais probablement plus sympathique. Les entrepreneurs, de ce point de vue-là ressemblent aux dirigeants politiques qui, pour garder la confiance de leurs électeurs doivent avouer leurs fautes en public, suivant la tradition américaine. Celui qui sait se livrer à l’exercice avec sincérité gagnera même un regain de popularité.

Aujourd’hui, les récits sur les difficultés de la vie entrepreneuriale sont devenus un genre à part entière. On en trouve quantité sur la plateforme de blog Medium, à côté des articles de développement personnel (dont les entrepreneurs sont également friands). Le genre a été amené à son meilleur niveau dans l’ouvrage de Ben Horowitz, entrepreneur et capital-risqueur à succès, dans The Hard Thing About Hard Things: Building A Business When There Are No Easy Answers, paru en 2014. Horowitz y retrace avec humour et brio les difficultés qu’il a rencontrées au cours de sa carrière d’entrepreneur et de dirigeant. S’il ne cache pas ses faiblesses à ses lecteurs, ceux-ci ne le voient pas moins comme une sorte de légende vivante.

Ben Horowitz

De l’importance de l’empathie

L’empathie est un levier que les entrepreneurs ont appris à actionner pour se rapprocher des consommateurs. Mais la même démarche est en train de s’étendre au management : les bonnes pratiques issues de la communication sont utilisées à l’intérieur même de l’entreprise, parce que les employés sont aussi sensibles à l’empathie que le sont les clients.

Bien communiquer vis-à-vis de ses employés est plus critique que jamais, du fait de la fragilité des entreprises numériques. Autrefois, les entreprises pouvaient offrir salaire et sécurité de l’emploi. Aujourd’hui, elles doivent composer avec davantage de turnover et donc une productivité du travail plus faible.

La technologie permet de compenser cette faiblesse : il est plus facile de former un employé sur le tas (MOOCs, Wiki, réseaux sociaux professionnels) ; il est aussi plus facile de mesurer de manière précise sa performance. Mais l’empathie a aussi été identifiée comme un levier de productivité de l’organisation et d’amélioration de la qualité du service rendu. Quand on est plus fragile, il devient critique d’être plus empathique.

L’empathie managériale prend des formes différentes. Elle est d’abord un levier à disposition des managers. Le manager typique de l’économie fordiste était froid et méthodique, puisqu’il mettait en oeuvre l’organisation scientifique du travail. Mais les dirigeants ont fini par découvrir l’impact de l’empathie vis-à-vis de leurs employés. L’art du management empathique consiste précisément à obtenir davantage de ses employés sans les payer plus. Non sans paternalisme, des patrons légendaires comme Sam Walton, le fondateur de Walmart, ont intégré l’empathie à leur pratique du management. L’empathie se pratique aussi entre collègues. L’importance d’avoir des équipes soudées et solidaires est constamment mise en avant dans les entreprises numériques, qui s’éloignent des méthodes et modèles visant à les mettre en concurrence les uns avec les autres. (Même Microsoft a abandonné son système de notation en 2013 pour cette raison).

En conclusion, l’arrivée de la communication transparente venue des startups est aussi inexorable que ne l’est la progression des réseaux sociaux. A l’âge d’Instagram et de Snapchat, les utilisateurs apprécient l’authenticité et rejettent toujours plus ce qu’ils identifient comme de la communication institutionnelle. Les entrepreneurs ont compris que les marques d’humanité produisent de l’empathie et rendent plus sympathiques ceux qui sont sincères. Les entreprises traditionnelles et les professionnels de la communication et des relations publiques doivent encore intégrer cette nouvelle donne à leur pratique.

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