Innovation washing : moins on innove, plus on en parle !

20 juillet 2016 - Auteur : Laetitia Vitaud

L’innovation est devenue une nouvelle religion. Elle fait la une des magazines. Elle s’immisce dans l’ordre du jour des comités exécutifs. Elle impose aux entreprises de remettre à plat leur stratégie et leur organisation.

Elle a ses différentes églises : la digitalisation, la disruption, l’uberisation. Forcés de se positionner, tous les grands groupes ont désormais leur direction de l’innovation, leur incubateur de startups, leur laboratoire d’idées, leurs hackathons. Surtout, une communication volontariste se développe autour de l’innovation : il ne suffit pas d’innover, encore faut-il le faire savoir – à grand renfort d’articles de presse, d’interviews des dirigeants, de voyages dans la Silicon Valley, de remises de prix, et de conférences de presse en mode stand up, inspirées des fameuses keynotes de Steve Jobs.

En se convertissant à l’innovation, les entreprises traditionnelles se mettent à la remorque de l’économie numérique. Dans le numérique, petites startups ou géants de la Silicon Valley semblent ne jurer que par l’innovation. « Nous allons continuer à innover comme des fous » promettait Rick Dalzell, directeur des systèmes d’information d’Amazon, en 2006. Apple est devenue la première capitalisation boursière mondiale grâce à plusieurs vagues d’innovation radicale comme l’iMac, l’iPod, l’iPhone, le Macbook Air ou les Apple Stores. Chaque jour, de nouveaux entrepreneurs arrivent dans la Silicon Valley, des étincelles dans les yeux, pour marcher dans les pas des grands innovateurs du passé – les Robert Noyce, Andy Grove, Steve Jobs, Marc Andreessen ou Larry Page.

Pourtant, quelque chose cloche. Malgré leur bonne volonté, les entreprises traditionnelles n’innovent pas au même rythme que les entreprises numériques. Les grands discours sur l’innovation sonnent un peu creux. Surtout, les clients n’en voient pas vraiment la couleur. C’est intéressant d’avoir des nouvelles du dernier hackathon d’une grande banque, de savoir que telle startup a remporté le prix de l’innovation remis par un géant du BTP, ou de lire la dernière interview du chief digital officer d’un fleuron du CAC 40. En attendant, nous sommes toujours aussi mal servis : les démarches ne sont pas vraiment dématérialisées ; les files d’attente sont toujours aussi longues ; la qualité des produits baisse alors que leur prix augmente. L’innovation des entreprises traditionnelles est-elle autre chose que de la com ?

L’innovation est une discipline  exigeante, qui supporte mal les contraintes qu’impose une organisation traditionnelle. On peut se lancer dans des chantiers d’innovation avec les meilleures intentions du monde. Mais dans bien des cas, elle va tarder à porter ses fruits. De nombreux projets vont finir dans l’impasse. L’innovation est un grand gaspillage : on jette beaucoup d’argent par les fenêtres jusqu’à ce qu’un jour quelque chose marche. L’entreprise va donc accumuler tensions, frustrations, rivalité entre business units. Au bout d’un moment, des comptes vont être demandés aux innovateurs à l’intérieur de l’organisation. Et faute de résultats concrets, il sera finalement décidé de reconvertir un chantier d’innovation en action de communication. D’où un phénomène de sélection adverse : l’innovation, moins ça marche et plus on en parle !

Par ailleurs, un grand malentendu vient de l’observation des startups. Il est vrai qu’elles communiquent énormément sur leurs efforts d’innovation. Mais nous oublions un peu vite qu’il y a des raisons précises à cela. Quand elle amorce ses opérations, une startup n’est presque rien : elle n’a ni actionnaires, ni salariés, ni même clients. Pour commencer à attirer les uns et les autres, elle est obligée de communiquer sur l’innovation : les investisseurs préfèrent investir dans des entreprises innovantes ; les ingénieurs et designers ne vont accepter de travailler pour une startup que si c’est pour relever des défis d’innovation radicale ; surtout, comme l’a montré Geoffrey Moore dans Crossing the Chasm, les premiers clients d’une entreprise, les early adopters, viennent toujours parce qu’ils ont appétence pour l’innovation : ils veulent du nouveau !

 

La situation est  différente pour une grande entreprise traditionnelle. Sa capacité d’autofinancement lui épargne de lever des fonds : elle n’a donc pas à communiquer sur l’innovation en direction des investisseurs. Au contraire, ses actionnaires sont même rassurés par les efforts de résilience et d’optimisation, c’est-à-dire… le contraire de l’innovation ! Elle n’a pas non plus à communiquer en direction d’early adopters, puisque de nombreux clients sont déjà là, attachés à la marque et plus ou moins satisfaits par les produits. Communiquer sur l’innovation est donc contre-productif : ça peut attirer des early adopters venus d’ailleurs, mais qui vont être finalement déçus par des efforts d’innovation réduits à de la com. Quand on est une entreprise traditionnelle, trop communiquer sur l’innovation détruit de la valeur si les actes ne suivent pas les paroles.

L’enjeu, en réalité, est ailleurs. Bien sûr que l’innovation est vitale dans une économie de plus en plus numérique, où tout évolue en permanence. L’exemple d’entreprises comme Google ou Amazon, qui innovent en continu, nous montre à quel point les entreprises ne peuvent plus compter sur la stabilité de leur modèle d’affaires ou se borner à des efforts d’amélioration incrémentale de leurs produits. La question est donc celle des leviers à actionner pour que l’innovation ne soit plus seulement de la com – pour que l’innovation soit couronnée de résultats plutôt que gâtée par une communication dont tout le monde finit par se lasser. Avant de communiquer sur ses chantiers d’innovation, les entreprises doivent d’abord résoudre le fameux dilemme de l’innovateur et transformer leur culture, leur organisation et leur fonctionnement au quotidien.

Car une chose est certaine : l’innovation va continuer de monter en puissance dans la stratégie des entreprises. Dans l’économie fordiste, la stratégie a émergé comme discipline noble afin d’aider les entreprises à pratiquer des arbitrages difficiles : entre la qualité et la grande taille ; entre la croissance et la marge ; entre l’optimisation et l’innovation. Dans l’économie numérique, la puissance des technologies et les effets de réseau exercés par les modèles d’affaires libèrent les entreprises de toutes ces contraintes : il leur est plus facile de concilier qualité et grande taille ; il est aussi plus facile d’allier optimisation et innovation. On peut optimiser ses opérations sans pour autant être rigide et incapable d’innover !

L’innovation est donc en train de rejoindre la stratégie. Cela se voit dans le secteur du conseil : tous les grands cabinets de conseil en stratégie ont intégré l’innovation à leurs modèles. Consultants comme dirigeants d’entreprises savent que l’innovation est plus qu’un nice-to-have. A présent, le défi est de la traiter comme telle. Il faut élever l’innovation au plus haut niveau d’attention dans l’entreprise plutôt que de la déléguer à des entités perdues au fin fond de l’organigramme. Il faut aussi cesser de communiquer dessus tant qu’elle ne s’est traduite par un changement radical de l’expérience offerte aux clients. La meilleure innovation n’est pas celle qu’on claironne sur les estrades. C’est celle que les clients découvrent sans préavis et qui les surprend agréablement : « Tiens, un nouveau produit, de meilleure qualité et qui coûte moins cher ».

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