Agricool, Label Abeille et l’avenir de l’agriculture urbaine

29 juillet 2015 - Auteur : Laetitia Vitaud

L’agriculture est en pleine mutation : elle se développe désormais dans les zones urbaines, où l’on assiste à la multiplication des parcelles de petite taille. La popularité de l’agriculture biologique et la préférence croissante pour le “manger local” expliquent ces tendances. Le phénomène, bien qu’encore marginal, pourrait amorcer une nouvelle révolution agricole. La re-découverte de techniques agricoles oubliées et la puissance des technologies numériques rendent possible une agriculture urbaine efficace, dont le rendement et la volumétrie pourraient devenir considérables. Nombre de startups et communautés ont aujourd’hui pour objectif d’étendre le “champ” de cette agriculture urbaine. Des villes comme Detroit, où est née l’agriculture urbaine moderne, sont de plus en plus imitées un peu partout dans le monde.

La ville de Détroit est la figure de proue du mouvement de l’agriculture urbaine

Detroit a perdu la majeure partie de sa population au cours des deux dernières décennies. Le déclin démographique de l’Etat du Michigan – une anomalie à l’échelle des Etats-Unis – a provoqué la mise en friche de nombreux espaces urbains : les espaces inoccupés à Detroit couvrent environ 230 km², sur une surface totale de 350 km² ! L’abandon du foncier, la pauvreté, le désœuvrement et la criminalité sont autant de raisons de réinventer la ville, notamment en réintroduisant l’agriculture au cœur de l’espace urbain.

Les agriculteurs urbains de la ville de Detroit ont donc appris des techniques oubliées, créé des communautés dynamiques en mutualisant les ressources, et parfois développé des entreprises. Dès les années 1990, alors que les politiques publiques avaient largement échoué face à la désertification économique, le mouvement Detroit Summer a tenté de « reconstruire la ville en partant du sol ». Quelque 1 300 jardins sont aujourd’hui gérés par le programme Detroit Garden Ressource. Pour 10$ par an (pour les jardins communautaires) et 20$ par an (pour les jardins familiaux), le programme donne accès aux graines, aux plants et aux formations nécessaires à la production. Plusieurs dizaines d’écoles participent également au programme Farm-to-School.

L’agriculture urbaine engendre des communautés que le numérique renforce et multiplie

La mutualisation des ressources et les communautés créées autour des projets agricoles permettent de re-densifier le tissu urbain et de réparer une partie des dégâts sociaux. Cultiver un jardin est le meilleur moyen de développer une solidarité de quartier : de nombreux projets utopiques, fictifs ou réels, sont fondés sur cette activité fédératrice et “spirituelle”. La production de fruits et légumes est aussi une solution à la malnutrition dont souffrent notoirement les populations déshéritées. Comme l’expliquait l’activiste Saul Alinsky, celui-là même qui a inspiré à Barack Obama sa vocation de community organizer, la création de solidarités de quartier est un objectif politique majeur. Le regroupement en communautés permet aux individus de mieux résister aux crises extérieures et leur permet de faire pression sur les pouvoirs publics, dont les moyens sont structurellement insuffisants.

Ce que Detroit a développé par nécessité économique, d’autres métropoles, où l’espace disponible est beaucoup plus rare, le font pour des raisons sociales ou écologiques. Ainsi de l’organisation de communautés écologiques autour des “paniers bios”. Les AMAP françaises, (“associations pour le maintien d’une agriculture paysanne”) sont des partenariats de proximité entre consommateurs et exploitations locales. Les AMAP visent à partager la valeur :  elles se fondent sur un contrat “solidaire” entre les consommateurs, qui paient à l’avance la totalité de leur consommation, et les producteurs, sécurisés dans leur activité. Le concept n’est pas neuf : dans les années 1960 déjà, des mères de famille japonaises, inquiètes de voir l’agriculture recourir massivement aux produits chimiques, ont fondé des teikei – mot qui signifie “coopération” ou “collaboration” en japonais – pour s’assurer l’accès à des aliments cultivés sans produits chimiques.

 

Faire des consommateurs des producteurs

Les circuits courts de distribution (dont les AMAP) ont de plus en plus de succès en France. Ils pourraient n’être que la première étape d’une transition qui voit les consommateurs devenir eux-même producteurs. Si l’objectif, pour le consommateur, est d’avoir accès à des aliments frais, de saison, biologiques, produits à partir de variétés végétales oubliées et à un prix accessible… pourquoi ne pas les produire soi-même ? L’“écolo” urbain n’aurait plus besoin de partir dans le Larzac pour satisfaire sa quête de sens et de nature : il pourrait devenir producteur tout en restant en ville, disserter à loisir sur la sécurité alimentaire et le goût et développer pour ses enfants une expérience pédagogique sur la nature et l’environnement.

La startup Agricool, dont le slogan est “Grow Food Where You Live”, est fondée sur l’idée qu’il y a un producteur potentiel en chaque citadin. “Lorsque les humains ont créé l’agriculture, ils l’ont fait près de chez eux. C’est du bon sens. Puis les villes sont devenues de plus en plus grandes et les champs cultivés ont été déplacés de plus en plus loin. Mais nous avons dépassé les limites acceptables. Nous devons rapprocher la production de nourriture pour en améliorer la qualité. 80% d’entre nous vivons en ville. Produisons la nourriture en ville.”

Agricool a inventé des “cooltainers”, containers équipés, qui sont des “maisons à cultiver, paradis pour les fruits et légumes, avec température, atmosphère et hydratation contrôlées”. L’air pollué de la ville est filtré pour cantonner la pollution à l’extérieur. Ces containers permettent de “produire 100 fois plus sur une même surface que l’agriculture traditionnelle, sans pesticide, sans pollution et avec 90% d’eau en moins”.

Les fondateurs de Agricool ont d’abord choisi de s’attaquer aux fraises, dont la production en serres géantes est plus industrialisée que jamais et consomme des pesticides en quantité massive. Très populaires, les fraises font partie de ces fruits qui ont perdu tout ou partie de leurs qualités nutritionnelles et gustatives avec la production industrielle : il faut débourser beaucoup d’argent pour se procurer des fraises de qualité. Produire soi-même ses fraises grâce à l’infrastructure déployée par Agricool : voici donc le seul moyen de retrouver le goût et la qualité des fraises en environnement urbain.

 

L’agriculture urbaine comme outil de gestion des ressources humaines

A côté des consommateurs finaux, les grandes entreprises sont un autre relais de développement de ce mode de production. Agricool aspire aussi à vendre ses “cooltainers” aux grandes entreprises en zone périurbaine. Chaque grande entreprise qui dispose d’un parking pourra ainsi s’équiper d’un “cooltainer” pour produire ses propres fruits et légumes et actionner ce faisant un levier de gestion des ressources humaines et de communication interne. Les écoles pourraient également s’équiper, pour intégrer des fruits sains à l’alimentation des enfants, mais également développer des activités ludiques et pédagogiques pour des enfants nés en environnement urbain et qui ignorent tout de la terre.

Label Abeille est une autre startup qui parie sur les communautés de producteurs en environnement urbain. Si la production d’un aliment autour d’une cause permet de créer des communautés fortes, alors l’apiculture et la sauvegarde des abeilles sont un outil idéal au développement de communautés. Partant de cette idée, Label Abeille, startup fondée par l’Orléanais Bertrand Laurentin, souhaite faire de l’apiculture urbaine un argument social et un outil de RH pour les grandes entreprises.

La production de miel en ville n’est pas nouvelle, mais les outils nouveaux mis au point par Label Abeille pourraient lui donner une seconde vie : des ruches connectées, équipées de multiples capteurs, permettent le contrôle de la température, de l’humidité et du bien-être des abeilles dans la ruche. Label Abeille vend ces ruches connectées à des grands groupes, ainsi que des outils logiciels permettant de gérer la ruche et les communautés d’apiculteurs qui les exploitent. Les entreprises y voient non seulement le moyen de mieux valoriser les toits de leurs bâtiments urbains, mais surtout un moyen de fédérer leurs équipes autour d’un projet inspirant.

 

L’agriculture urbaine est bien plus qu’une utopie pour bobos urbains en manque de campagne. Le numérique, les communautés urbaines et des outils nouveaux comme les containers équipés d’Agricool ou les ruches connectées de Label Abeille permettront très vite de développer une production urbaine avec des volumes significatifs. Mis en réseaux grâce à des plateformes ressemblant à Uber ou AirBnb, ces micro-producteurs urbains pourront mutualiser les ressources et distribuer leur production comme jamais auparavant. Bientôt, les lobbies agricoles pourraient demander au gouvernement de les protéger des attaques de ces nouveaux entrants “non professionnels”, comme les chauffeurs de taxis l’ont fait face à l’émergence des chauffeurs amateurs de UberPOP. Et même si le mouvement de l’agriculture urbaine restera probablement marginal face aux producteurs de l’agriculture traditionnelle, il aura pour conséquence de pousser les acteurs traditionnels à revoir une partie de leurs pratiques, à développer des communautés, à privilégier les circuits courts… et à se remettre en quête de sens pour les consommateurs.

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