Microsoft : une renaissance ?

29 août 2016 - Auteur : Laetitia Vitaud

Monopole gigantesque et incontournable dans les années 1990, Microsoft est depuis quinze ans sous le feu des attaques. Selon ses critiques, son déclin était certain : le géant était définitivement condamné à rejoindre le cimetière de dinosaures de la tech, comme Yahoo ou Blackberry, qui n’ont pas réussi leur retournement.

Avec le rachat désastreux de Nokia, Microsoft loupait l’occasion de triompher sur le marché du mobile et montrait encore qu’elle était décidément une entreprise du passé. Après avoir échoué dans les moteurs de recherche et le mobile, Microsoft ne pouvait plus espérer que “gérer” son lent déclin en préservant le plus longtemps possible les rentes importantes provenant des licences de ses logiciels pour PC, auprès de clients corporate plus lents que le grand public à se convertir aux logiciels libres de droits, aux applications open source et aux applications en ligne. En d’autres termes, on n’attendait plus de Microsoft autre chose qu’une stratégie de “vache à lait”.

Pourtant, depuis trois ans, Microsoft poursuit une transformation profonde, dont l’objectif est de s’imposer comme un acteur important du cloud computing, marché encore naissant, mais promis à une croissance extraordinaire. Juste avant l’été, Microsoft a annoncé des résultats remarquables, avec un bénéfice net annuel de près de 17 milliards de dollars, en hausse de 38% par rapport à l’an dernier. S’agit-il vraiment d’une renaissance ou bien n’est-ce que la dernière heure d’une étoile qui se meurt ?

Le dilemme de l’innovateur : Microsoft est un “Titanic”

Quand Steve Ballmer a remplacé Bill Gates à la tête de Microsoft en 2000, la capitalisation de Microsoft était de 600 milliards de dollars, à l’époque la plus grande capitalisation de l’histoire. En 2013, quand Ballmer a annoncé son départ, cette capitalisation n’était “plus que” de 270 milliards. Il semble évident pour tous que cette “décennie perdue” n’est en fait que le début d’un lent naufrage. Microsoft a échoué à devenir un géant de l’Internet et manqué le tournant du mobile. Le rachat de Nokia est un désastre qui n’a pas fini d’en coûter à Microsoft. Windows équipe moins de 2% des smartphones dans le monde.

 

Trop occupée à profiter d’une situation de rente issue de la vente de ses logiciels fermés, Microsoft a longtemps été dans la position typique du “dilemme de l’innovateur”. Incapables d’être à l’origine des innovations de rupture qui peuvent cannibaliser les recettes de leurs activités existantes, les géants sont condamnés à l’obsolescence. Le “dilemme de l’innovateur” est un concept forgé par Clayton Christensen, professeur à l’Université de Harvard, dont l’ouvrage éponyme est paru en 1997. Christensen s’efforce d’expliquer pourquoi les grandes entreprises en position dominante, qui ont tout pour réussir, sont dépassées par de nouveaux entrants, même lorsqu’elles font “tout ce qu’il faut”.

Dans une stratégie de “vache à lait” qui peut faire durer l’entreprise pendant encore des années, Microsoft protège coûte que coûte les revenus de ses activités historiques, notamment les revenus issus des licences sur les packs Office. Bien que le marché soit en fort déclin, Microsoft parvient à conserver des revenus importants, grâce à une offensive dans le B2B. Les particuliers achètent moins de logiciels Microsoft parce qu’ils ont migré vers le mobile ou trouvent mieux en open source ? Qu’à cela ne tienne ! Il faut aller chercher les clients corporate, qui eux n’ont pas encore migré vers les solutions cloud-based et open source. Le paquebot B2B a encore de beaux jours devant lui.

Microsoft est critiquée par des consommateurs qui accusent les produits Microsoft d’être de piètre qualité et de mépriser leur confort. Microsoft est moquée : dans une célèbre campagne de publicité intitulée “Get a mac” (entre 2006 et 2010), Apple fait incarner Microsoft par un personnage au look décidément ringard pour mieux en ridiculiser les produits. Devant un fond blanc, un jeune habillé simplement, se présente comme étant un Mac (« Bonjour, je suis un Mac »), tandis qu’un second personnage, habillé en costume-cravate, se présente ensuite comme étant un PC utilisant Windows (« Et moi un PC »). S’ensuit une discussion entre les deux personnages qui met les avantages du Mac en avant, et tourne les défauts des PC au ridicule.

Comment une entreprise peut-elle se défaire d’une image aussi désastreuse ? Il n’est pas certain que celle-ci soit déjà effacée dans l’esprit des consommateurs, mais elle est bien en train de changer. Cette image est notamment bien meilleure qu’il y a 5 ans auprès des développeurs et autres nerds

Pourquoi Microsoft est en train de réussir son retournement

« Comment apprendre vite et échouer rapidement ? Comment change-t-on une culture de manière à ce qu’elle ne pénalise pas ceux qui tentent des choses ? Nous n’encourageons pas l’échec, mais nous nous efforçons de tirer les leçons de nos échecs« , explique Satya Nadella, nommé PDG il y a près de trois ans. La transformation de Microsoft a été amorcée avant l’arrivée de Nadella, mais il est certain qu’elle est plus visible depuis qu’il en a pris les rênes. Depuis trois ans, Microsoft s’est efforcée de résoudre le dilemme de l’innovateur pour ne pas louper le prochain tournant, et devenir un acteur qui compte dans le cloud, dont la croissance attendue est gigantesque. Amazon reste le leader incontesté sur ce marché, mais Microsoft est parvenue contre toute attente à y prendre une solide deuxième place. Microsoft Azure, le concurrent d’Amazon Web Services dans le cloud, a vu son chiffre d’affaire augmenter de plus de 100% en un an. (Microsoft n’a toutefois pas communiqué le détail des chiffres. 100% de combien ?) Les deux entreprises, Amazon et Microsoft, sont toutes les deux dans la même ville, loin de la Silicon Valley : elles font de Seattle, dans l’Etat de Washington, la “capitale du cloud”. Seattle possède un écosystème dynamique, où l’on peut recruter des ingénieurs talentueux.

Un article dans Fortune paru avant l’été décrit les changements culturels en cours. Dans le campus de Microsoft, “aujourd’hui, il y a de l’excitation dans l’air, le sentiment que l’entreprise est à nouveau sur une pente ascendante”. L’article parle des changements dans la gestion des ressources humaines qui ont accompagné la stratégie de Microsoft dans le cloud. Depuis trois ans, la réorganisation profonde des activités par fonction plutôt que par produit, le plan “One Microsoft” lancé par Steve Ballmer, s’accompagne d’une transformation des ressources humaines. Des figures légendaires du mouvement pour l’open source ont rejoint Microsoft. Le lieutenant de Nadella, Scott Guthrie, était un militant de l’open source : on le connait pour ASP.Net, un framework qui permet la création d’applications web dynamiques.

Hérésie pour Microsoft dans les années 1990 et 2000, la logique de l’open source fait désormais partie intégrante de la stratégie de l’entreprise, alors même qu’elle accélère le déclin de ses activités historiques. Il y a encore 10 ans, l’idée que les logiciels Microsoft puissent être ouverts était aussi folle que l’idée que Coca-Cola puisse diffuser publiquement la recette de son soda. Miguel de Icaza et Nat Friedman, deux “rebelles” du mouvement pour l’open source dans les années 1990, critiquaient les logiciels fermés Adobe et Microsoft. Déjà à l’époque, ils avaient beau jeu de rappeler la supériorité des solutions open source : développés isolément, les logiciels ont moins de qualité et d’impact ; c’est l’intelligence collective qui fait la force d’un logiciel. En 1997, de Icaza et Friedman ont échoué à convaincre Microsoft de faire de l’open source. Mais aujourd’hui, tous les deux ont intégré Microsoft ! Ils sont respectivement CTO et CEO d’une société, Xamarin, qui produit des outils pour permettre aux développeurs de créer des applications “natives” à partir de code partagé pour OS Apple, Google et Microsoft. En février 2016, Microsoft a fait l’acquisition de Xamarin pour 500 millions de dollars. Friedman et Icaza sont ainsi devenus des employés de Microsoft. “Pendant longtemps, Microsoft était de l’autre côté de l’open source. Et maintenant, je dirais que, parmi les grandes entreprises de la tech, Microsoft est aux avant-postes de l’open source. C’est un énorme volte-face”, explique Friedman.

En résumé, il y a aujourd’hui trois raisons pour lesquelles la stratégie de Microsoft peut amener un retournement réussi :

  • L’entreprise est beaucoup plus ouverte : avec Nadella à sa tête, Microsoft travaille davantage avec d’autres entreprises technologiques, et est devenue un acteur plus présent dans l’écosystème.
  • Le cloud est un marché dont la croissance future promet d’être gigantesque. Même si Microsoft  reste loin derrière Amazon, la petite part d’un gâteau en forte croissance peut rapporter beaucoup.
  • Microsoft a une stratégie hybride : la plupart des entreprises clientes ne veulent ni migrer à 100% sur le cloud, ni rester entièrement sur des systèmes privés. Microsoft est présent tout le long du continuum.

Mais cette renaissance est loin d’être assurée

La stratégie de Microsoft est certainement a même de faire reculer le naufrage attendu depuis des années. Mais s’agit-il vraiment d’une “renaissance” ? L’entreprise doit encore faire face à de nombreux obstacles.

Dans le cloud, la domination d’Amazon est presque sans partage. La place qu’Amazon laisse à ses concurrents est dérisoire. Par ailleurs, la concurrence est féroce sur ce marché, et les marges y sont faibles. Une petite part de ce marché sera-t-elle à même de compenser les pertes sur les activités historiques ?

Pour résoudre le dilemme de l’innovateur, il faudrait que la croissance des activités nouvelles dépassent la décroissance des activités qu’elles “cannibalisent”, autrement dit que le cloud et l’open source prennent la place de Microsoft Office. Ce n’est pour l’instant pas le cas. Microsoft continue de payer cher ses erreurs passées : les licenciements à la suite du rachat de Nokia se poursuivent ; les pertes financières continuent de plomber les résultats.

 

La stratégie de Microsoft repose désormais essentiellement sur le B2B, or le B2B ne mène pas la danse en matière d’innovation. C’est même l’inverse, car “l’informatique s’est consumérisée” (voir notre article sur le sujet) : “C’est aujourd’hui par les consommateurs que se fait l’adoption des outils les plus performants. (…) C’est désormais la base — les millions d’utilisateurs munis d’ordinateurs, de smartphones et de tablettes — qui est plus à la pointe que ne le sont les grandes organisations. Les particuliers sont plus agiles que les entreprises parce qu’ils peuvent adopter des nouveaux services très rapidement. A l’inverse, les décisions d’achat des grands comptes sont freinées par des processus de validation de plus en plus complexes.

Enfin, on peut douter du fait que le rachat de LinkedIn permettra à Microsoft de prendre une place de choix dans les réseaux sociaux. Ce rachat confirme encore que Microsoft se concentre sur le marché des entreprises plutôt que sur les marchés grand public. LinkedIn n’est pas le plus populaire des réseaux sociaux, ni le réseau au meilleur design. Beaucoup attendent de voir ce que Microsoft en fera…

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