Et si la Génération Y adorait être managée ?

12 janvier 2016 - Auteur : Anne-Aurore de Bollardière

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les analyses sociologiques poussées sur la Génération Y dans le monde du travail sont rares. Jean Pralong, psychologue et docteur en sciences de gestion, explique même qu’« il n’existe pas de recherche qui se proposerait de vérifier qu’il existe bien une spécificité des membres de la Génération Y dans leur relation au travail ». Pourtant, la plupart des articles qui lui sont consacrés la définissent toujours ainsi, ce qu’une rapide recherche Google illustre bien : « N’embauchez plus de génération Y ; « Les empêcheurs de travailler en rond » ; « La « feignante » Génération Y décryptée loin des clichés » ; « Quand la Génération Y impose ses codes au travail », etc.  Souvent, ces articles reflètent les questionnements inquiets d’employeurs dépassés par une sorte de conflit intergénérationnel, tout en célébrant les qualités d’une génération talentueuse mais qui serait incomprise. Une situation que Jean Pralong résume ainsi : « au temps de guerre des talents, les jeunes, efficaces et agiles, constitueraient un mal nécessaire ».

Selon une étude de Deloitte et du Brookings Institute, la génération Y représentera 75 % des actifs dans le monde d’ici à 2025. Parler de « mal nécessaire » à propos d’une part si importante de nos futurs actifs suscite des questionnements légitimes. Que reproche-t-on donc au juste à la Génération Y ? Est-elle si difficile à manager ?

Le refus des codes traditionnels du monde du travail

Le réseau d’intervention en management de l’innovation Créativité Québec fait l’observation suivante : « elle remet tout en cause, détruit les modèles de management existant. Des évolutions qui se traduisent aussi sur le plan organisationnel, si on en croit Jean Pralong : « La bureaucratie fonctionnait autrefois sur un système pyramidal très structuré qui faisait que la masse salariale n’avait aucune possibilité de remettre en cause les directives qui émanaient d’en haut. Cette chaîne de commandement à sens unique facilitait relativement la tâche des managers qui n’avaient pas à se préoccuper des états d’âmes de ceux dont ils étaient responsables. Il y a eu depuis un véritable basculement de ce modèle, jugé trop rigide. » Tout cela la conduirait à remettre en cause la globalité de l’univers professionnel, qu’elle trouverait, selon une étude menée par la Chaire GEM (Grenoble Ecole de Management), « trop politique et lourd en termes de processus ». Certains mouvements de pensée, tels que la très médiatique tendance de l’entreprise libérée, vont même jusqu’à imaginer un modèle d’entreprise sans hiérarchie ni contrôle d’exécution. Dans ce modèle, les employés s’organisent par eux-mêmes sans avoir à demander d’autorisation hiérarchique, ni à subir de contrôleur externe à l’équipe. Tous ces constats mis bout à bout pourraient donner l’impression que la Génération Y refuse d’être managée. Et pourtant….

Ils rejettent l’idée du chef, mais ils veulent un mentor et un coach

Peu importe le nom qu’on lui donne – chef, mentor, guide, coach – pour les jeunes générations, le manager n’est pas devenu inutile. Il est même plus indispensable que jamais.

Selon un sondage Opinionway-Agefa PME, 9 jeunes sur 10 estiment que leurs relations avec les séniors sont de bonne qualité. Une étude Deloitte intitulée Generation Y: Powerhouse of the Global Economy, estime quant à elle que « La Génération Y fait confiance à ses supérieurs et veut travailler avec eux ». Elle dresse le constat suivant : « La Génération Y reconnait et respecte ceux qui sont des leaders efficaces. Presque 77,7% d’entre eux considère que leur relation de travail avec leur chef est “extrêmement efficace”. Ils souhaitent que leurs leaders soient engagés et volontaires dans la création d’un partenariat avec leurs collaborateurs qui permette de créer de nouvelles opportunités.

En réalité, rejeter l’autorité au sens « traditionnel » du terme ne signifie pas rejeter l’idée de hiérarchie. La Génération Y trouve naturel d’avoir un supérieur et elle trouve naturel qu’il soit amené à assumer des responsabilités plus lourdes que celles de ses subalternes. En revanche, il doit mériter le respect lié à sa fonction par ses compétences, et pas par son statut. Ce que les jeunes professionnels attendent de leur manager, c’est d’être celui qui leur permet de progresser, et surtout, celui qui sait les motiver à travers un mélange de reconnaissance et de fermeté exigeante. Gaëlle, 30 ans, responsable communication dans une grande entreprise de cosmétique, explique : « Etre managée par quelqu’un avec qui tu t’entends bien et qui te fait progresser, c’est hyper motivant. Mais à l’inverse, avoir un manager qui te traite mal ou qui ne sert à rien, ça rend la vie impossible. » La relation hiérarchique ne repose plus sur l’autorité mais sur la collaboration et la confiance réciproque. La réussite individuelle passe par la réussite collective, et l’entreprise en sort gagnante.

Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi la Génération Y sait qu’elle a besoin d’être managée – ce qui inclut notamment l’aspect affectif et personnel qu’il y a dans cette relation de confiance et d’accompagnement – et quel profit elle peut en tirer.

Comment appréhender la dimension affective d’une relation dédiée à la rentabilité et à la performance ?

Sujet complexe, car il faut garder en tête que les relations professionnelles sont avant tout soumises à des enjeux de rentabilité. Cet aspect déstabilisant et difficile à appréhender pour les managers peut pourtant devenir un atout pour l’entreprise. « Il y a une recherche de sens au travers de l’exercice du travailexplique la coach en management Jeanne Huguet. La recherche de sens et d’épanouissement conduit à relativiser l’importance du travail, mais lorsque le travail devient source de sens et d’équilibre, l’engagement au sein de l’entreprise est plus fort que jamais. Il ne repose pas sur le devoir, il repose sur l’adhésion. Julien Pouget, spécialiste du management et des ressources humaines décrit les manifestations de cette nouvelle forme de collaboration : « Leur contribution ne se mesure pas au volume horaire dans l’entreprise. Dans les entreprises françaises, on a tendance à mesurer la motivation d’un salarié au nombre d’heures effectuées (…). Ils veulent être jugés sur la pertinence et l’efficience de leur travail.»

Plus concrètement, cela implique d’offrir des perceptives de progression rapide, des horaires flexibles, une véritable politique de gestion des talents, de la liberté et de l’autonomie. En retour, l’entreprise pourra compter sur l’investissement, la souplesse, l’aptitude au changement, la mobilité géographique, la transparence, et la créativité de ses collaborateurs.

Cette démarche ne doit pas empêcher le collaborateur de comprendre et d’accepter que son entreprise – et par extension son management – n’a pas vocation (dans un contexte professionnel) à se substituer à un ami ou à une famille. C’est la condition nécessaire pour que la gestion de l’affect soit inscrite dans un cadre sain : personne ne doit perdre de vue l’objectif final de performance. Car si le « climat de confiance affective » fait partie des critères qui comptent dans la motivation au travail, encore faut-il que l’entreprise aborde cette question délicate de la bonne manière, c’est-à-dire de façon humaine, exigeante et pragmatique à la fois. Tout un programme !

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