Hôteliers traditionnels contre centrales de réservation : un combat perdu d’avance ?

30 septembre 2015 - Auteur : Loys de Larquier

Rechercher un hôtel sur Internet est devenu un geste banal, nous le réalisons presque sans réfléchir et Internet est devenu l’outil indispensable. Chacun a sa technique : certains ont une préférence pour une chaîne d’hôtels bien spécifique, d’autres effectuent une recherche Google avec des mots-clés ciblés sur leur demande, tandis que d’autres encore lancent leur recherche via une plateforme de réservation en ligne qui leur est familière. Toutes ces pratiques ont un point commun : elles nécessitent Internet. Mais elles ont toutes des conséquences économiques très différentes sur le secteur de l’hôtellerie.

Le digital attaque tous les secteurs et l’hôtellerie n’échappe pas à la règle. Avec la vulgarisation d’Internet, sont apparus de nouveaux acteurs qui ont su prendre une place prépondérante sur ce marché : il s’agit des centrales de réservation hôtelières en ligne (en Anglais et dans un sens plus large, OTA : Online Travel Agency). Qu’entend-on par prépondérante ? Aujourd’hui, « 70% des ventes de nuitées en ligne en Europe passent par les centrales de réservation et le reste par les sites des hôtels » selon une étude Reuters. D’après une étude du cabinet Phocuswrigh, « la part des réservations en ligne dans le chiffre d’affaires des hôteliers est passée de 26 % en 2011 à 34 % en 2015 (estimation) ».  Les chiffres parlent d’eux-mêmes et nous montrent qu’en moins de vingt ans (âge des plus anciennes OTA), les centrales de réservation se sont rendues indispensables dans l’écosystème du secteur.

Globalement les utilisateurs et les hôteliers inscrits sont satisfaits de ces centrales de réservation, comme le souligne une étude réalisée par Harris Interactive en novembre 2013 : « 81% des hôteliers déclarent être inscrits sur au moins un site de ce type » et « 91% des hôteliers eux-mêmes pensent que ces plateformes permettent d’accroître la visibilité des établissements hôteliers notamment auprès de la clientèle étrangère ». C’est une réalité, les centrales ont permis aux chaînes hôtelière d’augmenter considérablement leur revenu. Mais à quel prix ?

La contrepartie d’un tel service n’est en effet pas gratuite, et c’est bien l’un des points centraux des discussions houleuses actuelles entre les professionnels européens de l’hôtellerie et les centrales. Toutes les centrales n’utilisent pas le même modèle de rémunération, mais le plus répandu reste la commission sur le prix de la chambre. Or ces commissions ont subi une augmentation importante ces dernières années (+27,5% entre 2008 et 2012), si bien qu’aujourd’hui elles oscillent en Europe entre 15% et 20% du prix d’une chambre et peuvent atteindre 30% dans certains cas.

Les résistances du secteur : peut-on réellement stopper le mouvement déjà en marche ?

Face à la réduction croissante de leurs marges, les hôteliers français ont décidé de réagir. Tout a commencé en juillet 2013 par une plainte déposée par l’UMIH(1), le principal syndicat d’hôtelier en France, à l’encontre de booking.com, Expedia et HRS, trois acteurs principaux du marché des réservations hôtelières sur internet en France. Suite à cette plainte, en octobre 2013, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) assigne en justice la centrale de réservation Expedia pour clauses « illégales ».

Depuis, suite à une enquête menée par l’Autorité de la concurrence, booking.com a accepté en avril 2015 de renoncer à la majeure partie des clauses de parité tarifaire et de disponibilité qu’il imposait aux hôteliers français. Concrètement, booking.com n’interdira pas aux hôteliers de proposer des tarifs inférieurs à ceux qu’ils proposent sur www.booking.com. En revanche, les hôtels ne pourront toujours pas afficher sur leurs propres sites internet des tarifs inférieurs à ceux du site de booking.

Dans son sillage, le tribunal de commerce de Paris a jugé le jeudi 7 mai 2015 que les clauses imposées aux hôteliers français par le site de réservation en ligne Expedia étaient « déséquilibrées » en défaveur des hôteliers.

Ces batailles rappellent largement les combats menés par la communauté des taxis en France contre son nouveau concurrent digital Uber. De la même façon, de nombreuses tentatives de stopper ou à minima de ralentir la progression des nouveaux usages offerts par le digital ont été menées par des acteurs traditionnels du secteur. Ces réactions semblent parfaitement légitimes et nous les comprenons bien car il s’agit pour eux de se donner le maximum de temps pour s’adapter à cette évolution fulgurante que l’on appelle « révolution numérique » et de minimiser les dégâts socio-économiques éventuels qui en découlent. Cependant, la réalité terrain est que nous assistons à un véritable bouleversement des habitudes de consommation induit par le digital et c’est bien la pression des demandes clients qui favorise le développement de ces nouveaux services. Face à ces nouveaux modes de consommation, force est de constater que les modèles d’organisation traditionnels ne sont plus aussi efficaces et pertinents qu’avant.

Marketing traditionnel versus marketing digital

Au cœur du sujet se trouve une problématique d’entreprise réelle : l’essoufflement des techniques de marketing traditionnelles face à la puissance du marketing digital. Comment ces géants du web ont su séduire en deux ou trois fois moins de temps autant voire plus de clients que leurs concurrents du secteur traditionnel ? Et quelles sont les nouvelles barrières concurrentielles qu’ils ont créées ?

Le bouleversement des techniques de marketing – Nous sommes passés en quelques années d’un marketing traditionnel à un marketing digital pointu appelé aussi marketing de contenu. Les centrales de réservation en ligne ont développé un vrai savoir-faire dans l’art de séduire les internautes et d’être omniprésentes sur la toile. Ces nouveaux acteurs sont en effet ce qu’on appelle des « digital native » : le marketing digital fait partie de leur ADN, contrairement à la majorité des acteurs traditionnels. Ils ont par exemple très rapidement compris le poids et la puissance des avis des internautes. Ainsi, tous leurs efforts marketing sont démultipliés grâce à la contribution des utilisateurs eux-mêmes, leur donnant une force de frappe commerciale quasi-illimitée. Ce qui se réalisait autrefois par voie orale s’effectue dorénavant sur le web.

Le défi technologique du Mobile Design – Avec la sortie de son nouvel algorithme « mobile-friendly » le 21 avril dernier, Google affiche clairement sa volonté de proposer de meilleurs services aux mobinautes. Cet algorithme a pour objet de favoriser les sites Internet les plus adaptés aux « mobile devices » (smartphone et tablette) dans les recherches effectuées depuis un de ces appareil et selon des critères qui lui sont propres (et secrets). Or selon une étude Yooda, 60% des sites Internet du secteur hôtelier ne sont pas adaptés au mobile (la moyenne étant de 64% pour les sites français). Si nous prenons en compte la tendance actuelle et prévisionnelle, à savoir que 30% du trafic Internet mondial s’effectue via smartphones et tablettes, les professionnels hôteliers devraient rapidement investir dans le développement de sites Internet adaptés s’ils ne veulent pas risquer de perdre une part significative de trafic.

Ces investissements sont autant de freins supplémentaires pour le secteur de l’hôtellerie dans sa course au référencement sans l’aide des centrales de réservation en ligne. Aujourd’hui les leaders du marché des réservations hôtelières en ligne sont des acteurs indépendants, mais les professionnels de l’hôtellerie pourront-ils répondre à de nouveaux acteurs autrement plus influents sur la toile tel que Google Hotel Finder, le service de planification de voyage sur internet proposé par Google. Facebook et Google sont probablement les entreprises qui ont les plus importantes bases de données personnelles au monde (y compris les goûts, les envies, les informations de localisation, etc.). Bien que les services qu’elles proposent actuellement ne soient pas exactement ceux des Centrales de réservation en ligne, ces mastodontes sont potentiellement les mieux placées pour effectuer la publicité online la plus ciblée du marché et prendre la place des OTA.

Et si les résistances de l’Europe face à la puissance des centrales de réservation en ligne n’étaient qu’un simple obstacle à une inéluctable évolution du marché vers une digitalisation encore plus forte ?

Comme beaucoup d’autres secteurs, l’hôtellerie subit les conséquences de la pénétration du digital dans son secteur. La vulgarisation d’Internet et le développement d’algorithmes de plus en plus poussés ont permis à des acteurs tels que booking.com ou Expedia de s’imposer en tant que spécialistes incontournables du secteur et de devenir des maillons indispensables dans le processus d’achat du client. Le service qu’ils apportent est réel : ils offrent aux clients la possibilité de trouver en un seul endroit la meilleure offre correspondant exactement à leurs besoins.

Les récents freins au développement des centrales de réservation en ligne en Europe auront un impact sur leurs marges dès 2015 et les années suivantes, c’est indéniable, mais elles restent puissantes et ont les moyens d’investir en permanence dans de nouveaux modes de communication 2.0 (le groupe Priceline, maison-mère de Booking.com, dépense chaque jour environ 7 millions de dollars en achat de mots-clés sur Google).

 

Malgré les efforts inestimables réalisés par certains « grands » du secteur, tel que le groupe Accor qui a récemment ouvert sa très digitale plateforme de réservation par exemple, il semble très compliqué pour le secteur traditionnel de l’hôtellerie de lutter contre ces nouveaux acteurs du digital. Dans tous les cas, quelle que soit l’issue de cette bataille commerciale, les acteurs traditionnels ne pourront pas continuer d’exister sans subir de très grandes transformations dans leurs organisations et dans leurs offres aux clients.

(1) : Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie

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